Pour sa troisième édition, le Heidelberger Frühling Liedfestival proposait une programmation principalement articulée autour des Lieder de Brahms et de leur apparent désordre (« Brahms und die Unordnung der Lieder »). En parfait accord avec ce thème, le récital de Patricia Nolz et Florian Bœsch, intitulé « Der Himmel so blau », explorait ce désordre, envisageant les Lieder hors de tout cycle, ou presque (on sait que, chez Brahms, le « désordre » tient d’abord de l’éclatement et de la fragmentation). À Brahms était adossé Schumann, choix cohérent qui s’explique sans doute en partie par les nombreux duos qu’il permet entre la mezzo et le baryton.
D’emblée, l’harmonie des timbres est une évidence. Les voix se superposent et leurs souplesses individuelles forment une pâte sonore homogène qui sert une interprétation globalement cohérente. On relève tout de même des fins de phrases qui s’achèvent différemment (elles sont tenues un peu plus longtemps par la mezzo dans « So wahr die Sonne scheinet ») et un équilibre parfois instable en début de concert, la mezzo couvrant par exemple franchement le baryton dans « Wenn ich ein Vöglein wär’ ».
La voix pleine, colorée et très riche en harmoniques de Patricia Nolz permet une approche vocalement engagée qui, parfois, verse dans un lyrisme qui tient d’abord de l’opéra. Dans « Über die Heide », le legato est parfait mais la maîtrise technique ne suffit pas à freiner un élan sans doute trop ardent en fin de pièce. D’une manière générale, l’interprétation est relativement homogène et tranche à cet égard avec les propositions de Florian Bœsch qui, lui, excelle dans l’art du contraste, du récit, en un mot, du Lied. La projection impeccable du baryton lui permet de couvrir un spectre de nuances infini, servant une interprétation qui touche la perfection. L’approche est narrative, l’enjeu n’est jamais la démonstration vocale. En un mot, Bœsch raconte des histoires. D’ailleurs, il n’hésite pas à détimbrer ou à verser dans un piano à la limite de l’audible. Dans « Sonntag », le jeu sur les consonnes et les articulations (« Das tausendschöne Jungfräulein, Das tausendschöne Herzelein ») est jubilatoire, alors que dans « Schwermut », il passe par toutes les nuances de la palette expressive en moins de deux minutes.
Le propos est vaillamment soutenu au piano par Andreas Fröschl qui est un accompagnateur remarquable, bien que certaines intentions exprimées à la fois par le piano et le chanteur ou la chanteuse manquent de cohérence (mais est-ce nécessairement de la faute du pianiste ?). Du reste, un excès de pédale noie trop souvent la lisibilité de l’accompagnement.
Le Lied est un genre qui demande un degré de raffinement expressif et de compréhension des pièces exceptionnels. Malgré quelques réserves, le récital du 15 juin dernier en incarnait, à bien des égards, la quintessence.