Après tout qu’est-ce que le chant si ce n’est la magie de l’instant, la grâce de l’instinct ? Et ce, hors conventions interprétatives, doxas musicologiques ou autres conforts d’écoutes référencées. Patrizia Ciofi a cultivé l’expressivité sur le mode de sa personnalité propre avec une belle probité et une parfaite détermination stylistique vendredi à l’Opéra de Clermont-Ferrand. Mais il est pour le moins périlleux de s’aventurer dans un programme où cohabitent mélodies et airs d’opéra, qui plus est hérissés de difficultés. Et non des moindres s’agissant du fauréen « Le papillon et la fleur » ou de cette insaisissable « Chanson triste » de Duparc sans compter l’épineux « Hai luli » de Pauline Viardot. Seconde partie tout aussi redoutable entre exigences verdiennes du Rigoletto et pièges belliniens en passant par ce fameux air de Juliette « Je veux vivre en ce rêve » qui en fait le Gounod de tous les dangers.
La lucidité de Ciofi consiste à ne pas aborder (ou enfermer !) la mélodie française dans une lecture philologique. La soprano n’est à l’évidence pas stricto sensu une mélodiste de stricte obédience. Elle réinvestit sans complexe la puissance poétique du genre avec sa sensibilité. Elle vit et respire ce parfum si particulier qui fait l’essence du genre, non plus sur le registre d’un affect de pure forme ou d’une sentimentalité extérieure, mais à travers le ressenti ouvertement engagé d’une expressivité plus introspective. Elle s’y livre sans fard. Il revient à chacun d’en capter les fragrances inédites au-delà de l’interrogation que ne manque pas de susciter de prime abord cette lecture (cette rupture ?) volontairement caractérisée par un lyrisme décalé mais assumé. Ainsi du très parnassien « Au bord de l’eau » de Fauré dont le spianato e di grazia s’efface au profit d’une couleur subtilement spinta dont la retenue nous épargne le faux pas du contre-emploi. Option courageuse mais risquée qui s’avère plus appropriée dans « Hai luli » de Viardot. Ici, comme chez Delibes, Ciofi peut ouvrir sans risque et libérer une opportune énergie sans outrepasser son émission. Elle maîtrise avec suffisamment d’à-propos le sens des dynamiques pour les mettre au service d’un très fin rendu des contrastes. Avec parfois des tensions dans le haut médium et les aigus dans le « Soupir » de Duparc. Mais l’intelligibilité des textes ne souffre guère de réserves. La diction reste impeccable, soumise à une belle cohésion de timbre.
© Thierry Lindauer
En abordant les grandes pages d’opéras, Ciofi reste fidèle à l’éloquence d’une élocution soignée toujours marquée d’intériorité. On peut lui faire grâce d’éviter toute vaine complaisance belcantiste. Cette exigence qui ne se départit à aucun moment d’une éloquence jamais surfaite, elle l’illustre plus encore dans les airs de bravoure de l’opéra italien en point d’orgue de ce récital. La problématique voire le dilemme dans ce domaine comme dans la mélodie, est que ses capacités vocales intrinsèques demeurent soumises à l’exigence des partitions. Interprète sensible et scrupuleuse elle préfère jouer alors de cette ligne de chant marmoréen qui lui donne autorité et recul par rapport au rôle. Notamment dans Bellini où elle impose des suraigus avec aplomb sans outrepasser le potentiel de sa tessiture. On retiendra le rayonnement de l’aigu de sa Maria Stuarda à la ligne soignée et généreuse.
Mais c’est sans conteste chez Verdi que Ciofi joue de cette singularité timbrique faite de rectitude et de fermeté. Elle possède ce « je ne sais quoi » d’urgent et d’étrangement bouleversant, à la fois beau dans la couleur et pudique dans l’expression qui font notamment de « Gualtier Maldé » un sommet d’émotion. Franchise de ton et d’émission qu’elle libère sans complexe chez Ambroise Thomas et dans ses deux rappels pucciniens.
Enfin saluons la performance d’une extrême probité musicale de la pianiste Carmen Santoro chez qui la légèreté du phrasé le dispute à la puissance sonore. Plus que d’un accompagnement, il convient de parler d’un authentique duo que cette artiste dotée d’une palette dynamique d’une richesse exceptionnelle, forme avec Patrizia Ciofi. Le contrôle dynamique dont elle fait preuve épouse les moindres inflexions vocales de sa partenaire.