Le dernier récital de la saison de la Monnaie était réservé hier soir au chanteur slovaque Pavol Breslik, un ami de la maison à qui on confie volontiers les rôles mozartiens. Accompagné par le brillant pianiste israélien Amir Katz, le ténor avait résolu d’articuler son programme autour de trois compositeurs romantiques, Dvorák, Liszt et Schumann. Sous cette apparente cohérence, ce sont en fait trois facettes bien distinctes du répertoire romantique qui furent présentées : la veine populaire, ou d’inspiration populaire, avec les sept Chants Tziganes de Dvorák, la veine bel-cantiste avec les Sonnets de Pétrarque de Liszt et la quintessence du romantisme poétique avec le justement célèbre Dichterliebe de Schumann.
Si Breslik est avant tout un chanteur d’opéra, sans doute plus à son aise lorsqu’il peut déployer les ors de sa voix et se mouvoir sur scène, il en aura vraisemblablement surpris plus d’un par sa sensibilité poétique très délicate, l’étonnante palette de couleurs qu’il a montrée tout au long de la soirée et sa belle assurance dans un répertoire qu’il pratique sans doute moins, mais que manifestement il connaît bien et qu’il a à cœur de transmettre au public.
Entamant le récital en langue tchèque, il donne des Chansons Tziganes de Dvorák une version vigoureuse et colorée, proche de ses sources populaires, rejoint par le pianiste dans un bel entrain contagieux mais relativement peu nuancé. Breslik aborde ensuite Liszt – le Liszt italianisant des Sonnets de Pétrarque – comme il chanterait Bellini, avec un splendide legato, toute en nuances et demi-teintes, mais aussi très virtuose et exigeant pour la voix, éminemment lyrique. Le résultat est tout simplement magnifique, à défaut d’être très profond, et suffisamment brillant pour terminer avec éclat la première partie du récital.
C’est en poète qu’il présente ensuite le Dichterliebe de Schumann, de loin l’œuvre la plus ambitieuse du programme. Dès le début du cycle, qui commence pourtant de façon assez détachée, il exprime parfaitement le sentiment d’unruhigkeit, cette inquiétude angoissée qui, avec l’humour, est une des caractéristiques des poèmes de Heine à laquelle répond si bien la musique tourmentée de Schumann. Gagnant en inspiration poétique au fil du déroulement du cycle, Breslik témoigne magnifiquement de son attachement pour le répertoire qu’il défend, de l’étendue de sa palette de couleurs, osant des transparences, des pianissimos, prenant le risque de se montrer vulnérable pour transmettre ses émotions. Les cinq ou six derniers lieder du cycle sont tout simplement admirables d’intensité, et révèlent toutes les qualités expressives de ce ténor particulièrement attachant. Regrettons simplement que le recours (néanmoins discret) à la partition coupe par moments le chanteur d’un contact visuel avec son public, pourtant indispensable au bon déroulement du fil narratif du cycle.
C’est dans Liszt et Schumann que les belles qualités pianistiques d’Amir Katz sont les plus sensibles. Même si l’ensemble de sa prestation reste marquée par une vision parfois trop objective, un rien de froideur et relativement peu d’interventions très personnelles, ce pianiste fait preuve d’une grande maîtrise et soutien très efficacement son partenaire, avec des moyens techniques quasiment sans faille.
Très complices, les deux musiciens donneront encore en bis deux incontournables du répertoire : Widmung de Schumann, et Zueignung de Strauss, pour le plus grand bonheur d’un public malheureusement un peu clairsemé.