Il y a une réelle actualité autour de Philippe Jaroussky en ces jours de reprise de la vie culturelle. Forumopéra rendait compte très récemment des débuts du contre-ténor en tant que chef d’orchestre au festival de Pentecôte de Montpellier. Quelques jours plus tard, le voilà qui renoue avec le concert, après, comme il le dit-il lui-même à son public, plus d’un an d’abstinence forcée.
C’est donc à Toulouse, dans la magnifique Halle aux Grains, qui vit les beaux jours de Michel Plasson, que Jaroussky se retrouve pour deux soirs au milieu de son ensemble Artaserse, pour un concert Vivaldi-Haendel de bien belle facture.
On n’attend pas de surprise dans ce répertoire où Jaroussky est à la maison, puisqu’il le côtoie depuis plus de 20 ans, le fait vivre et nous en propose les innombrables richesses. De fait, il ne se cantonne pas aux « tubes » baroques qu’il a fortement contribué à faire découvrir à un large public ; il excelle, lorsqu’il s’agit de concevoir les programmes, dans le savant dosage des pièces parmi lesquelles il sait glisser çà et là quelques raretés, qui font de chacune de ses apparitions un moment à la fois attendu et inattendu.
Ainsi, aux côtés de la cantate Cessate omai cessate , de l’ « Ombra cara », extrait de Radamisto ou encore du « Mentre Dormi » tiré de l’Olimpiade et du fameux « Sì, la voglio et l’otterro», donné en bis, Philippe Jaroussky nous offre-t-il les plus rares récitatif et aria d’Orfeo, tiré de Il Parnasso in festa (« Dopo d’aver perduto…Ho perso il caro ben’… » ) de Haendel , ou encore, en bis, le magnifique « Sento in seno » extrait du Tietiberga de Vivaldi. Ces pièces, il les a toutes enregistrées et elles investissent aujourd’hui cette immense zone de confort qu’il ne cesse, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, de chercher à élargir. Il les offre avec foi et les habite avec conviction.
© Simon Fowler
La voix, que nous n’avions pas entendue en récital depuis 2017, évolue sans aucun doute. Jaroussky se déplace aujourd’hui dans les graves avec gourmandise ; le timbre est alors plein et chaleureux (« Nell’orrido albergo »). Ce timbre, reconnaissable entre tous, se teinte aujourd’hui d’une patine que l’on retrouve sur l’ensemble de l’amplitude. Ce qui demeure et qui fait l’unicité des prestations de Jaroussky, c’est l’attention portée au texte ; il reste, dans ce domaine, sans conteste le maître du détail. Nulle inflexion ni ornement qui ne soit pensé, nul chromatisme ni ritardando qui ne corresponde à un choix d’illustration du drame qui se joue sous nos yeux (« Cessate, mai cessate ») ou de la joie qu’il partage avec nous (« Mentre dormi, Amor fomenti »). Il joue sans cesse du tempo et de l’intensité pour capter, captiver même l’attention, dans les méandres des répétitions et des reprises des arias da capo. On confessera une admiration particulière, essentiellement dans les tempi lents, de sa maîtrise du vibrato, qu’il joue ça et là à retarder et retarder encore jusqu’aux ultimes secondes du point d’orgue (parties B et A’ de « Mentre dormi ») : du très grand art.
Les quinze musiciens de l’ensemble Artaserse forment un cocon protecteur et attentif au maître de céans ; on leur saura gré de ne pas avoir abusé de pièces orchestrales (des extraits de concerti de Haendel et Vivaldi), glissées parcimonieusement dans le programme ; juste ce qu’il faut au maestro pour s’accorder quelques minutes de repos au milieu d’un concert donné sans entracte.