Et de trois ! En 2021, pour célébrer la Fête de la musique, Placido Domingo offrait au public de la salle Gaveau un récital d’air d’opéras et d’opérettes en compagnie de Maria José Siri qui fit grande bruit. La saison suivante il était de retour dans une version en concert d’I due Foscari de Verdi entouré d’Anna Pirozzi et Arturo Chacón Cruz. Nouveau triomphe. Cette année le revoilà avec à ses côtés la jeune mezzo-soprano Maria Kataeva dans un programme intitulé Noche Spañola dédié, comme son nom l’indique, à son pays natal et composé essentiellement d’extraits des zarzuelas les plus fameuses. La plupart des pages que l’on entend sont connues du grand public, de nombreux chanteurs espagnols les ayant enregistrées et interprétées au concert, à commencer par Placido Domingo lui-même qui a gravé les intégrales de Luisa Fernanda, Doña Francisquita, El gato Montès et La tabernera del puerto dont l’air « Non puede ser » figure depuis de nombreuses années à son répertoire. Le programme qui alterne airs et duos, comporte également des pages orchestrales tirées du Tricorne de De Falla et de Goyescas de Granados. En bis nous aurons droit également à deux chansons dont l’inusable « Granada ».
Dès son entrée en scène Placido Domingo est accueilli par une longue ovation de la part du public qui est venu nombreux pour l’applaudir. Une salle comble à rendre jaloux certains de ses collègues, au sommet de leur art pourtant, à qui il arrive de se produire devant des demi-salles. Cet accueil chaleureux apporte une réponse cinglante à ceux qui estiment qu’il est temps que le désormais baryton prenne sa retraite. A voir la joie et l’exaltation de ces spectateurs tout au long de la soirée on se demande pourquoi il faudrait les priver de ce bonheur juste parce que ce succès agace quelques grincheux ? A peine Placido Domingo a-t-il ouvert la bouche qu’on est frappé par l’insolence vocale qu’il affiche. Non, ce n’est pas un chanteur à la voix finissante que l’on entend mais un artiste qui joue encore dans la cour des grands. Le medium, rond, puissant et chaleureux est inaltéré, le grave est sonore et le timbre, celui d’un interprète dans la plénitude de sa maturité. Même les quelques problèmes de souffle que l’on avait pu noter lors de sa précédente prestation semblent avoir disparu. Cette santé vocale est particulièrement évidente dans « Mi aldea » de Guerrero et surtout en début de seconde partie dans « Luche la fe por el triunfo » extrait de la Luisa Fernanda de Moreno-Torroba où l’on admire son legato impeccable, ses nuances subtiles et son haut-medium éclatant. L’interprète se montre tour à tour émouvant dans « Quiero desterrar » de Sotullo y Vert, poignant dans « Non puede ser » ou cajoleur dans le duo « Hace tiempo que vengo al taller ». Une prestation stupéfiante de bout en bout, sans la moindre faille vocale, que le public en délire ovationnera longuement au salut final.
A ses côté Maria Kataeva ne démérite pas. Vêtue d’une élégante robe noire et fuchsia, la cantatrice possède un timbre cuivré, une voix homogène et bien projetée ainsi qu’une belle aisance dans le registre aigu. Lauréate de plusieurs concours de chant dont Operalia, sa carrière prend de l’ampleur notamment en Allemagne. L’été dernier elle a incarné avec bonheur Isolier dans Le Comte Ory à Pesaro. Dans les duos, elle donne une réplique idoine à son partenaire notamment dans celui de Sorozábal évoqué plus haut où elle se montre mutine à souhait. La mezzo-soprano tire également son épingle du jeu dans les deux airs qui lui sont dévolus, notamment « De España vengo » que Montserrat Caballé jadis se plaisait à inscrire au programme de ses concerts, et qu’elle chante avec beaucoup d’humour en s’accompagnant avec des castagnettes.
A la tête d’un Orchestre Colonne parfois brouillon, Jordi Bernàcer propose une direction inégale, bruyante par moment, avec cependant de belles réussites comme la « Farruca » extraite du Tricorne, jouée avec panache ou l’intermezzo nostalgique de La leyenda del beso avec son solo de harpe.
On regrettera enfin une ou deux sonneries intempestives de portable pendant le concert et surtout l’incorrection de ces spectateurs qui, pour enregistrer un air, brandissent à bout de bras leurs téléphones dont la lumière éblouit les yeux et perturbe la visibilité de ceux qui sont assis derrière eux.