C’est devant une salle Gaveau archi-comble que Roberto Alagna a fait sa rentrée parisienne dans un programme subtilement dosé où s’unissent les deux cultures qui lui sont chères, la française et l’italienne. Une première partie sera donc consacrée à de la musique française puis suivront quelques fleurons de l’opéra italien, puisés dans le répertoire actuel de notre ténor. L’ensemble comporte quelques pages rarement proposées en concert que l’on écoute avec plaisir. Ainsi, le récital s’ouvre par le grand air de Sigurd au deuxième acte de l’opéra éponyme d’Ernest Reyer. Sous un tonnerre d’applaudissements, Roberto Alagna entre en scène, fringant, le sourire aux lèvres, élégamment vêtu de noir, sa veste cintrée mettant en valeur sa silhouette de jeune premier. Dès les premières mesures, le ténor français donne à entendre un medium somptueux, large, rond et homogène, que vient couronner un aigu puissant. Le public exulte. L’air de Vasco de Gama « Ô paradis », sans doute l’un des plus admirables que l’on ait entendus, tant par la splendeur du timbre, la perfection de la diction, et la vaillance de l’émission, achève de mettre la salle à genoux. Vient ensuite la prière du Cid, sobre et poignante, tout en émotion contenue, un véritable modèle d’interprétation avec en prime un parfait diminuendo sur le mot « éternel ». La première partie s’achève avec deux extraits, dont un orchestral, du Dernier jour d’un condamné composé par David Alagna pour son frère, qui permet de constater que cet ouvrage, créé en 2007, mériterait amplement d’être repris. L’alternance airs d’opéra et pages orchestrales permet au chanteur de reposer sa voix et au public d’entendre quelques raretés, comme l’ouverture de Mireille, gorgée de lumière et rondement menée.
L’entracte initialement prévu ayant été supprimé, La partie italienne s’enchaîne aussitôt avec un prélude d’Attila de Verdi dont le chef parvient à doser subtilement le crescendo. Roberto Alagna se surpasse dans l’air de Gabriele Adorno « O inferno », page bien plus complexe qu’il n’y paraît, dans laquelle il excelle à exprimer les différents affects du personnage. Le public l’ovationne, le ténor répond avec humour, salue une connaissance, se tourne en souriant vers les loges de côté. Roberto Alagna parvient à créer avec simplicité une connivence entre lui et les spectateurs comme s’il chantait devant un groupe d’amis. Le ténor aime son public et celui-ci le lui rend bien. Les deux airs suivants proviennent d’opéras célébrissimes mais ne sont pas les « tubes » habituels. Ainsi, de Pagliacci nous aurons droit à « Pagliaccio non son », morceau déchirant qui précède de peu le meurtre qui conclut l’ouvrage et pour Andrea Chénier, c’est l’air du troisième acte « Si, fui soldato » que Roberto Alagna choisit d’interpréter avec une fougue et un héroïsme saisissants. Suivent « Amor ti vieta » extrait de Fedora, un opéra qui a marqué son grand retour à la Scala en 2022 et un « Niun mi tema » grandiose qui sonne puissamment dans une salle silencieuse et recueillie. Tout au long de la soirée nous aurons été éblouis par la santé vocale du ténor et son souffle qui paraît inépuisable. Si l’aigu n’a plus tout à fait la souplesse d’antan le medium s’est étoffé, se parant de reflets mordorés et le registre grave a gagné en consistance, ce qui lui permet d’aborder avec bonheur les rôles de spinto.
En bis, Roberto Alagna nous offre l’inusable « Granada » dans une interprétation solaire et musclée avant de présenter au public un jeune ténor prometteur, Naestro, ex boxeur, avec qui il chante en duo « O sole mio » et « Abballati », un air sicilien a capella.
Au pupitre Jean-Yves Ossonce propose une direction précise et enveloppante avec des tempi parfois étirés mais toujours attentif au chanteur sous la voix duquel il déroule un tapis de sonorités opulentes. Tout le long du concert, leur complicité est évidente. Dans les pages orchestrales, le chef passe avec bonheur du soleil de L’Arlésienne au sombre drame d’Attila.