Le public aime Rolando Villazón. A Pleyel l’an passé comme au Théâtre des Champs Elysées ce soir, le ténor n’a pas encore ouvert la bouche que déjà une vaste clameur l’accueille. A la fin du concert, les dames se précipitent pour lui offrir des fleurs qu’il attrape d’un large sourire. Le public a raison. Il est sympathique, Villazón. Il est clown. Il lui faudrait, dans le duo de L’elisir d’amore, un nez rouge et le numéro serait complet. De sa besace, il sort yoyo, marionnette, balles avec lesquelles il jongle et même le programme de la soirée qu’il offre à une spectatrice au premier rang. Quel rigolo ! Pour un peu, occupé à rire de ses pitreries, on oublierait de l’écouter. Il a pourtant une belle voix, Rolando Villazón, sombre, mâle, farouche. C’est vrai qu’il chante un peu tout pareil, comme si la survie de l’humanité en dépendait mais lorsque l’air s’y prête, le frisson est garanti. Le lamento de Federico, évidemment. Là, les accents pathétiques sont de circonstance, plus que dans la prière du Cid , plus que dans la romance de Nemorino qui veut ne pas être étreinte passionnément mais simplement caressée du bout des lèvres.
Mais il faut l’aimer tel qu’il est, Rolando Villazón, avec ses excès, ses attaques à la serpe, ses sons exagérément ouverts, ses hoquets, ses écarts de justesse, ses aigus désossés, avec ses ailes brûlées mais aussi avec ce souffle prodigue qui lui fait tenir la note longtemps, avec sa chaleur, sa générosité, son énergie, son enthousiasme. Comment ne pas l’aimer quand il fait mine d’envoyer son cœur à la salle pour la remercier de ses applaudissements ? Comment ne pas l’admirer quand, nouveau David, il empoigne ces airs redoutables et parvient bon gré, mal gré à les terrasser ? Rien ne saurait lui résister, ni le public, ni les deux violonistes – au féminin – que, fidèle à son habitude, il emmène avec lui dans la coulisse pour signifier que le concert est terminé, ni Guerassim Voronkov dont la direction, dès « la solita storia », a capitulé. Le chef russe n’a pour prendre sa revanche que quelques pages symphoniques qu’il foudroie d’une baguette rageuse et impuissante. On ne vole pas la vedette à Villazón.
Telle n’est pas l’intention de Pumeza Matshikiza. La dernière « révélation » de Decca fera parler d’elle dans les mois à venir. Elle a sa voix devant elle. Un album mélangeant chants traditionnel sud-africains et airs d’opéra est annoncé en début d’année prochaine (voir brève). En attendant, posée sur un robe de mousseline rose telle une fille fleur, elle prend d’un regard assuré la mesure de la salle. Il ne faut pas se fier à ce port de tête altier, Pumeza Matshikiza se cherche encore. Son soprano, lyrique de toute évidence, s’aventure à contre-emploi sur les terres légères d’une Nannetta, moins diaphane que capiteuse. A tout prendre, on la préfère en Concepción, rôle que ne dédaignent pas les mezzo-sopranos. La demoiselle a du tempérament – et l’horlogère ravélienne en exige –, une aisance scénique qui lui permet de se glisser avec justesse dans les habits qu’on lui tend, et surtout une voix de velours tissée de fils d’or. Le léger vibrato est, si l’on en croit Joseph Calleja, signe de santé vocale. La diction française disqualifie la mélodie de Massenet, quand au contraire « La pitoyable aventure » s’avère à peu près intelligible. La projection est égale sur toute la longueur, le médium dense, le vocabulaire encore limité. Leila, Adina demandent plus de nuances et d’effets. Mais Liu est d’une sincérité désarmante.
Quatre bis prolongent la soirée dont « Tonight » qui sort les deux interprètes de leur zone de confort – West Side Story convient rarement aux voix lyriques – et « Pata Pata », une chanson sud-africaine entêtante que Rolando Villazón s’emploie à massacrer. Le brindisi de La traviata voit réapparaitre la canette de bière qui servait précédemment d’élixir d’amour. Le ténor descend de la scène pour esquisser un pas de valse avec une spectatrice. Le public, conquis, acclame debout le héros de la soirée. Mais est-ce le chanteur qu’il ovationne, ou l’Auguste et l’Achille en un seul homme réunis ?