Se rendre à un concert entièrement dédié à Rossini est une promesse de musique pétillante comme du spumante, où brillent une ou plusieurs voix qui vocalisent avec l’agilité d’un funambule dans une ambiance revigorante et festive. Oui mais voilà, c’est compter sans l’indisposition passagère d’une artiste qui tout à coup vient gâcher la fête, la transforme en une débâcle aussi imprévisible que désolante. C’est ce qui s’est produit ce soir au Théâtre des Champs-Élysées. On attendait monts et merveilles de ce récital de Marie-Nicole Lemieux consacré au Cygne de Pesaro, on l’imaginait, en salivant à l’avance, chanter ces pages dans lesquelles son tempérament, son entrain, son exubérance feraient merveille. Las, comme dit la sagesse populaire, il y a des soirs « avec » et des soirs « sans », et ce soir n’était décidément pas un soir « avec ».
Elle était pourtant élégante, Marie-Nicole, dans son ensemble veste blanche et pantalon noir pour interpréter les personnages masculins qui occupent la première partie de son programme, mais dès les premières notes de son air d’entrée, « Ah perché, perché la morte » extrait de Matilde di Shabran, on sent que quelque chose ne va pas : le timbre semble altéré, la voix débraillée, les vocalises savonnées, et les notes aiguës proches du cri. Il faut dire que la direction tapageuse de Jean-Marie Zeitouni ne lui facilite guère la tâche. Le visage de la cantatrice, consciente du problème, exprime son désarroi et l’on a mal pour elle. A la fin de l’air, le public l’applaudit chaleureusement pour lui témoigner son affection, car on l’aime ici Marie-Nicole Lemieux, depuis un certain Orlando furioso de 2003 qui fit d’elle une vedette. Dès lors, il n’y a pratiquement pas eu une saison sans qu’elle soit à l’affiche du Théâtre des Champs-Élysées enchaînant les opéras, les oratorios et les récitals avec un succès qui ne s’est jamais démenti. Voilà pourquoi les spectateurs l’encouragent. Malheureusement les choses ne s’arrangent pas avec l’air d’Arsace au deuxième acte de Semiramide, « In si barbara sciagura » dont la dernière note frôle l’accident. Alors, avant d’aborder le dernier morceau de cette partie, la cantatrice s’adresse à la salle avec des larmes dans la voix pour dire combien elle est désolée de cette situation qui échappe à son contrôle et le public lui répond en l’ovationnant, ce qui la rassure sans doute. De fait l’air de Tancrède « Di tanti palpiti » tient à peu près la route malgré un registre aigu toujours strident.
Vêtue d’une robe vert émeraude, la contralto québécoise aborde la seconde partie avec davantage d’assurance et une plus grande maîtrise de ses moyens qui lui permettent de sauver les meubles in extremis avec les deux airs de L’Italienne à Alger, un personnage qu’elle a souvent interprété et dans lequel sa truculence et son humour ravageur font mouche. En revanche, sa Rosine trop mature, à des lieues de la jeune fille malicieuse et rouée que l’on attend est hors de propos. En bis, un extrait de La pietra del paragone où le chef lui donne la réplique avec une voix qui détonne, précède une « Danza » joliment chantée mais gâchée par un orchestre pachydermique, ainsi qu’une reprise de la seconde partie de l’air d’entrée d’Isabella.
Au pupitre la direction lourde et bruyante – on l’a dit – de Jean-Marie Zeitouni (Ah, cette ouverture martelée de Semiramide ) ne fait qu’ajouter à la tristesse que l’on éprouve en quittant la salle.