La longévité vocale de Sandrine Piau, ne cesse d’étonner et fait figure de modèle pour sa tessiture de soprano colorature où les aigus fuient souvent avec les années. Bien sûr, le timbre est plus cassant qu’auparavant, les aigus moins irisés, le souffle plus court, mais la technique reste d’une robustesse à toute épreuve et l’expressivité de l’actrice en rien diminuée par l’érosion des moyens, sans doute la fréquentation constante de répertoires et styles parcourant tous les siècles a-t-elle aussi forgé une voix durable quand elle en aurait détruit d’autres moins techniciennes.
Le programme se voulait tourner autour des airs avec instrument concertants, et l’on regrettait un peu que des morceaux avec instruments plus rares n’aient pas été retenus (psaltérion, viole d’amour…). D’autant que les inédits qui ont ouvert le concert furent finalement assez décevants. Le joli air de l’Eraclea d’Albinoni avec mandoline charme sur le moment mais ne marque pas les mémoires. Quant à l’air de la Partenope de Sarro, c’est une parade, suites de vocalises en duel avec la trompette, relativement indifférente au texte et à la situation dramatique, et à l’inspiration mélodique et orchestrale quasi-inexistante. Sandrine Piau y a cependant fait montre d’une belle finesse d’exécution pour le premier et d’un panache remarquable pour le second, même s’il avait des allures de victoire à la Pyrrhus, tant la trompettiste peinait à rendre justice à la virtuosité brute de cette musique.
Puis vinrent deux airs d’Alcina de Handel, qu’elle vient d’interpréter à Bruxelles. Si l’on était plus habitué à l’entendre dans des rôles écrits pour la Cuzzoni que pour la Strada del Pô, il faut reconnaitre qu’elle campe une magicienne magnifique. Ah, ce « Ah mio cor » contraint, aux épanchements retenus car douloureux, comme si chaque aigu illustrait une épine arrachée à ce cœur serré, dont les « sola » sonnent comme les appels au secours d’une magicienne qui craint de s’anéantir dans l’épuisement entropique de la plainte… A l’inverse, là où la plupart des sopranos chantent « Ombre pallide » de façon hébétée, comme si la magicienne était désenthousiasmée de ses pouvoirs de façon passive, Sandrine Piau conserve la rage du récitatif qui introduit l’air. Pris à vive allure, c’est une course aux ombres, une rage quasi-hystérique qui ne connait jamais l’abandon. Le résultat est moins contemplatif mais plus dramatique.
Ensuite, le « Son qual stanco pellegrino » d’Arianna in Creta (opéra superbe quasi-ignoré aujourd’hui) avec violoncelle concertant la trouve aussi émouvante que lorsqu’elle l’enregistrait avec Christophe Rousset voilà bientôt 10 ans (Récital Opera Seria paru chez Naïve) mais beaucoup plus dure et angoissée.
Enfin le « Furie terribile » de Rinaldo, même si elle s’y est jetée avec toute la force requise, manquait clairement d’ampleur du fait d’une voix moins à sa place dans ces invocations furieuses que d’autres plus charnues, comme celles de Karina Gauvin ou d’Inga Kalna.
Le Kammerochester de Bâle confirme ce que l’on pensait de lui : très bel ensemble faisant preuve d’énergie et d’une grande cohésion d’autant plus remarquable qu’elle se passe souvent de chef. Les passages instrumentaux étaient consacrés à la naissance de la forme traditionnelle du concerto en Italie du Nord. Si les deux concerti de Torelli nous ont semblé assez communs et bavards, c’est sans doute parce que des compositeurs ont su par la suite faire beaucoup mieux dans la même veine et que la fraicheur des compositions pionnières était ici bien fade. En revanche le concerto de Zavateri très proche du style d’un Vivaldi, et pas uniquement pour le thème descriptif (la tempête en mer) mais aussi pour l’usage des stridences errantes, est bien plus intéressant, quoiqu’un peu trop long. Enfin le concerto de Laurenti brille surtout par son très beau cantabile où le violon évolue sur un lit de pizzicati troublants.
Pour les bis, nous eûmes droit au traditionnel « Lascia la spina » de Rinaldo, qui pour très beau qu’il fût, ne remplaçait pas le beaucoup plus rare air de Porpora « Mentre rendo a te la vita » tiré de l’Angelica, annoncé sur le site du TCE mais supprimé du programme. Pour conclure, c’est l’espièglerie de Morgana et son « Tornami a vaggeghiar » qui, malgré des erreurs de texte bien compréhensibles en fin de programme, vinrent enchanter la conclusion de ce très beau récital.