Belcanto, Lieder im Salon. A traduire littéralement le titre donné à ce concert, on s’attendait à une aimable soirée passée à déguster un assortiment de savoureuses mignardises brodant sur le thème amoureux. Or si le programme composé par Serena Farnocchia et Paolo Raffo, grâce au fonds rassemblé par les éditions londoniennes Consonarte, a bien pour thème l’amour, les sucreries en sont exclues. Comme l’écrit Carlida Steffan dans le livret de salle, ce sont les espoirs déçus, les séparations, les malentendus, les trahisons, les abandons, en somme les souffrances liées aux relations amoureuses – situations qu’elle qualifie de « petits traumatismes sentimentaux » – qui constituent la trame de cette guirlande de miniatures.
Qui sait ce que donnerait ce même programme interprété par une des dédicataires ? La plupart étaient des aristocrates ayant une formation musicale poussée leur permettant d’interpréter dans leur salon la musique savante des compositeurs de leur temps. Mais auraient-elles osé s’élancer à corps perdu dans ces appels, ces aveux, ces confidences ? C’est tout l’art de Serena Farnocchia, dont on se souvient de la flamboyante Ermione qu’elle fut l’an dernier à Bad Wildbad, de faire croire à l’émotion qu’elle exprime alors même qu’elle en contrôle à chaque seconde l’émission. Devant nous, ce n’est pas une dilettante douée, mais une cantatrice à la technique accomplie et aux moyens superlatifs qui confère à ces « petits » morceaux une grandeur qui sublime la convention du genre mélodie de salon.
Que l’écriture pianistique soit des plus raffinées ne saurait surprendre de Rossini, de Bellini ou de Donizetti, mais comment ne pas être enchanté de découvrir les compositions de ces auteurs oubliés ? Disparus avec la musique de salon ils avaient eu une célébrité européenne, donné des leçons à Giuditta Pasta, comme Vincenzo Gabussi, composé pour la même et pour le castrat Velluti, comme Giovanni Battista Perucchini, et capté l’oreille de la reine Victoria, comme Luigi Gordigiani, que ses contemporains considéraient, selon Carlida Steffano, comme le Schubert d’Italie. Paolo Raffo restitue au piano son rôle de partenaire à part entière par son jeu d’une précision raffinée et nécessaire car ces compositeurs « amateurs » avaient tous reçu une formation pianistique du plus haut niveau qui leur valait l’amitié des « professionnels » tels Rossini et Bellini.
Que signaler en particulier dans ce florilège ? La comparaison possible entre les deux versions du Trovatore, celle de Rossini (1817) et celle de Gordigiani (1839) tourne pour nous à l’avantage du second, mais la première est un hommage mondain assez conventionnel alors que la deuxième a une ambition expressive plus marquée et pourrait avoir impressionné le jeune Verdi. Le plaisir de réentendre Beltà crudele dans cet élan quasi expressionniste et La ricordanza avec l’élégante courbe mélodique et le cantabile qui seront réutilisés dans I Puritani. La découverte de la version originale de la romance Billet doux – quand le programme annonçait sa version italienne sous le titre La corrispondenza amorosa – dédiée par Donizetti à la reine Victoria et que Serena Farnocchia nous délivre dans un français impeccable. Le charme des mélodies de Gabussi, présentées avant celles de Perucchini, qui nous saisissent davantage par l’accord étroit ressenti entre le texte et la musique. La séduction des romances ouvragées de Gordigiani, son Trovatore vigoureux et sa Lacrima où il contraint la voix à descendre, comme une larme en train de couler.
Alors, la cantate de Mercadante, hors sujet ? Non, puisque Virgina choisit de mourir par amour de l’honneur. Tiré par les cheveux ? Pas tant que ça. Nous avions cru d’abord, étant donné la vogue européenne de Paul et Virginie, que le personnage était la jeune fille qui choisit de mourir plutôt que de sacrifier sa pudeur et donc son honneur, car effectivement le personnage de la cantate s’écrie « il mio pudore ». En fait, il s’agit de l’héroïne d’une tragédie d’Alfieri antérieure au roman de Bernardin de Saint-Pierre, qui, pourchassée par un des gouverneurs de la Rome antique, préfère mourir que de lui céder. La composition est ample, articulée en plusieurs sections, sur le modèle d’une scène d’opéra, suivant les étapes de la réflexion du personnage jusqu’à la résolution du dilemme, dramatique et éclatante. Serena Farnocchia déploie dans ce monologue tout son talent de comédienne tandis que ses ressources vocales triomphent des écarts expressifs.
Un concert des plus intéressants qui mériterait d’être repris.