Reconnaissons à Sonya Yoncheva une curiosité constante pour les œuvres rares. Même au sommet de sa carrière, elle n’a cessé d’interpréter des opéras quasi inconnus, à coté des grands rôles dans lesquels elle est très attendue. Ce concert n’en est que partiellement une nouvelle illustration : avec pour thème la musique au temps de Marie-Antoinette, il propose à coté d’airs célèbres (qui ne sont pourtant pas ses meilleurs moments), quelques autres difficilement accessibles, même au disque (Cherubini et Piccinni). On déplore toutefois la disparition des Grétry, Sacchini et Salieri annoncés.
La soirée commence par un tube, « Divinités du Styx », et le compte n’y est pas. La diva qui n’a jamais eu peur de poitriner façon Callas peine toutefois à faire sonner ses graves tandis que le medium insuffisamment chauffé réponds mal ; la déclamation est maladroite, on cherche les consonnes. L’accompagnement n’aide guère. Etrange et trop long silence après « force nouvelle », trombones étonnamment doux quand les cors sont éclatants, et harpe (!) surexposée à cour. Une Alceste bien exotique. « O malheureuse Iphigénie » est dans ses cordes mais c’est le ton qui gêne : poses appuyées, postures compassées, voyelles enflées, ce manque de simplicité empêche toute émotion et semble ignorer l’évolution de l’interprétation de cette musique ces cinquante dernières années. A l’inverse, Médée est un rôle qu’elle a souvent interprété et on entend tout de suite une aisance dramatique supérieure. Si la prononciation reste très perfectible, l’aigu puissant au vibrato bien contenu fait mouche sur des « ingrats » cinglants et rayonnants. Elle tient par ailleurs parfaitement la rampe de l’accélération du tempo aux dernières strophes. C’est cependant avec l’aria de la Didon de Piccinni qu’elle emporte la mise. Sans personne à imiter, l’artiste laisse libre cours à son tempérament et cela change tout. L’articulation est enfin au rendez-vous du drame et on est captivé par les répétitions variées de ces « d’effroi je me sens mourir » finaux.
Après l’entracte, place à la romance : singeant une entrée de la reine de France, elle entonne « C’est mon ami » de Chardin de manière caricaturale. S’ensuit un dialogue comique avec le chef qui l’invite à davantage de sobriété et à doubler les consonnes. On sourit de la pertinence du propos en pensant que le chef vise également sans doute la première partie du concert. « Plaisir d’amour » est réputé être la romance favorite de Marie-Antoinette, Sonya Yoncheva l’embrasse avec autant de gourmandise que de mélancolie.
Les airs qui suivent en sont un peu éclipsés : Démophoon de Cherubini a le mérite de la rareté mais cet air a du mal à exister pris isolément. « Ah! Si la liberté » d’Armide manque de personnalité pour être mémorable, contrairement à « Non più di fiori ». Son italien sonne moins ampoulé à nos oreilles que son français et son large ambitus ajoutés à l’audace de son investissement théâtral font merveille. On regrettera simplement que l’orchestre soit trop hésitant, notamment les vents ; dommage car l’on pouvait entendre une étonnante clarinette (ou cor de basset?) d’amour lui donner la réplique, et les Arts florissants dirigés par William Christie se sont montrés ailleurs très équilibrés voire plus audacieux qu’à l’accoutumée (la danse des Furies).
En bis l’aussi mélodique que douloureux « O del mio dolce ardor » est plus rêveur qu’incarné, mais le public applaudit chaleureusement la reprise de « Plaisir d’amour ».