Bordeaux gardera longtemps en mémoire son premier Pelléas au début de l’année ; Paris a applaudi furieusement son Chevalier de La Force dans Dialogues des Carmélites il y a quelques jours au Théâtre des Champs-Élysées. Deux exploits en deux mois n’est-ce pas suffisant ? Non, pas lorsque l’on a 33 ans et la promesse d’une carrière brillante. Déjà, Stanislas de Barbeyrac aborde un exercice autrement dangereux, le récital en ce qu’il a de plus exigeant : un piano nu – Alphonse Cemin enlumineur et paysagiste à la fois –, un public nombreux qui donne à la soirée l’apparence d’un événement dans une salle délicieusement petite où la proximité est obstacle supplémentaire : les lundis musicaux de l’Athénée
Le programme ajoute à la difficulté. Deux cycles majeurs dans l’histoire du répertoire mélodique – An die ferne Geliebte et Les Nuits d’été – réveillent des fantômes que le jeune chanteur devra combattre. Poulenc aussi est casse-gueule à sa manière, en ce qu’il veut plus d’esprit que de voix, plus d’audace que de courage, plus de mots que de notes.
Adelaide, tube beethovenien ajouté en préambule, est une nécessaire mise en place. La main s’accroche à la partition tandis que l’aigu cherche ses marques. La langue allemande aime la lumière franche du timbre. Les consonnes claquent sur un medium en béton armé. Derrière le portrait de plus en plus animé d’une femme idéale, perce l’ombre du meilleur Tamino de sa génération. L’ombre seulement.
« J’entends du velours » glisse une dame à son voisin une rangée derrière. Du velours ? Moins la douceur molle et feutrée du tissu pourtant que la raideur noble d’un métal qui veut le vent et l’eau du quatrième Lied d’An die ferne Geliebte pour gagner en souplesse. Le son se mixe, les vers se colorent. L’attitude reste sage et la partition toujours ouverte continue d’encager l’interprète derrière la grille de la portée.
C’est à travers ces mêmes barreaux que s’échapperont les effluves de Nuits d’été encore fraîches. La diction est irréprochable ; le mot pourrait cependant avoir plus de poids, exception faite de quelques effets attendus et bienvenus telle cette « âme » du Spectre de la rose exhalée pianissimo. La maîtrise du volume autorise l’emphase autant que la confidence. Berlioz dans la version idéale de sa partition – piano et ténor – serait remarquablement servi si la comparaison avec certains grands interprètes n’était inévitable.
Même punition pour Poulenc. Stanislas de Barbeyrac est jeune homme trop bien élevé pour débiter des banalités, fussent-elles dictées par Apollinaire. La gouaille fait défaut à ces pièces que le compositeur de Dialogues des Carmélites aurait voulu chantées à la manière de Maurice Chevalier. Le rondeau d’Henri, extrait des Cloches de Corneville, abordé en bis comme s’il s’agissait de la cavatine de Faust soulève la même question : où est l’humeur fripouille nécessaire à cette musique ?
Pourtant le ténor sait se détendre lorsqu’après une Sérénade de Don Juan d’une male fierté, il propose de choisir le compositeur suivant : Tchaïkovski, Planquette ou Bizet ? Le public se prend au jeu. Les noms fusent. Le dernier des trois l’emporte et c’est « La fleur que tu m’avais jetée » que le chanteur offre en une interprétation mémorable. Oubliés la partition, l’excès de sérieux, le manque de liberté. Don José n’est pas seulement vivant à travers une prononciation idéale et une maîtrise de l’émission jusqu’au si bémol d’une douceur déchirante ; il existe par le regard éteint, la mine défaite, la silhouette accablée ; faible mais fort d’une certitude : les fruits tiendront la promesse des fleurs.