Depuis les accents mystérieux d’Aurore de Gabriel Fauré jusqu’aux célestes saluts du Chant de l’alouette (Lerchengesang) de Brahms, en passant par les inflexions romantiques et passionnées des Kerner-Lieder de Schumann, Stéphane Degout donne à entendre tous les registres et toutes les nuances du lied et de la mélodie. Aussi précis dans sa diction du français que dans celle de l’allemand (ah, ces consonnes finales impeccablement prononcées !), il possède un talent rare d’articulation du texte et de projection de la voix qu’il met ici au service de l’intimité du chant.
Avec un programme en tous points identique (bis compris) à celui de Dijon dont Yvan Beuvard a récemment rendu compte dans ces colonnes, le récital donné à l’Opéra de Lyon ce dimanche après-midi confirme les propos de notre confrère concernant le chanteur : magistral est en effet le mot juste pour qualifier cette maîtrise souveraine du souffle et du phrasé, cette capacité à exprimer une profusion de sentiments sans un haussement de sourcil, cette façon d’emplir la salle d’une voix puissante tout en donnant l’illusion du naturel et de la confidentialité. Aussi est-ce bien à chacun de nous que le baryton s’adresse, dans les Poèmes d’un jour comme dans les divers lieder de Brahms et la série des douze poèmes du romantique souabe Justinus Kerner. À la fois éclectique et homogène, le programme varie les approches et les climats, dans un jeu de perspectives et de miroirs, sur le plan des textes et sur celui des rythmes et des tonalités. Dans une sorte de mise à distance d’un contenu toujours émouvant, souvent bouleversant, Stéphane Degout observe une attitude de sobre recueillement. Ce n’est qu’aux saluts qu’un sourire illumine son visage.
Tout d’abord discret dans les accords d’Aurore et l’andante de Rencontre, le piano de Simon Lepper s’affirme dès Toujours pour devenir ensuite le partenaire de la voix. Loin d’être relégué au rang de simple accompagnateur, le pianiste est ici l’interlocuteur sensible et audible du baryton – par exemple dans la fin saisissante de Nicht mehr zu dir zu gehen (Brahms) ou, avant même le prélude de Stille Liebe, dès Lust der Sturmnacht qui marque le début agité de la série des Douze poèmes de Kerner. La proximité artistique entre Simon Lepper et Stéphane Degout, leur intelligence commune des œuvres sont telles qu’aucun échange de regards préalable n’est nécessaire entre eux pour régler la simultanéité de leurs entrées ni la coordination de leurs développements et de leurs conclusions.
Avant le bis, lorsque Stéphane Degout lit, au grand bonheur de l’assistance, la traduction française du poème de Candidus (1817-1872) intitulé Lerchengesang (Chant de l’alouette) mis en musique par Brahms (extrait des Vier Gesänge op. 70 de 1877), la beauté du texte que magnifie la voix riche en harmoniques du baryton opère, dans son évocation des « voix suaves des alouettes », des « souvenirs », des « doux crépuscules » et du « souffle du printemps », une mise en abyme du récital tout entier. On regrette alors que la brochure de salle ne comporte pas le texte de tous les poèmes de la soirée. La question est posée : comment peut-on encore donner un récital de lieder sans permettre aux auditeurs de consulter les textes originaux accompagnés de leur traduction française, quand les interprètes mettent un tel soin à leur rendre justice ?