Les occasions d’admirer Vivica Genaux sont devenues très rares à Paris. Après une superbe Stratonice au Louvre, c’est ce soir salle Cortot qu’il faut aller pour l’entendre dans un répertoire qu’elle a peu fréquenté, celui du drame miniature. Contrairement à l’opera seria ou aux œuvres de Rossini dans lesquelles elle a forgé sa réputation, le personnage doit ici s’imposer en quelques minutes, dans toute sa complexité et son authenticité. Avec l’excellent Jory Vinikour qui l’aurait convaincue de chanter ce programme et qu’elle qualifie non sans raison d’homme-orchestre, tant son accompagnement est vivant et fougueux, Vivica Genaux réussit là où l’attendait.
Passons donc rapidement sur ces Purcell surprenants mais peu convaincants qui se satisfont mal de sa voix très focalisée et sans cesse agitée. « Sweeter than roses » requiert plus de brume et la folie de Bess plus de mystère et de respirations. Les emportements telluriques de la contralto servent bien mieux le style italien. L’Eraclito amoroso de Strozzi nous laisse un peu sur notre faim, comme un récitatif accompagné qui serait privé d’aria mais signale déjà ses qualités de diseuse. C’est avec les arias de Ferrari, une fois la voix chauffée que l’on retrouve l’artiste à son meilleur. Dès le « Ardo misera si » et sa vocalise fulminante sur « cocente rotar », et surtout l’intranquille « Amanti, io vi so dire » que l’on n’avait jamais entendu si brillant. S’il y manque la légèreté qu’appelle ce rythme chaloupé, on y goute la tortueuse écriture qui signale l’amant aigri, et toute son énergie soudain utilisée à mépriser ce qu’il a adoré autrefois. La virtuosité illustre la contradiction et se chauffe au feu du désir qui couve.
Avec la Lucrezia de Haendel, notre interprète a davantage d’espace pour peindre son héroïne, dont les élans sont d’autant plus touchants qu’ils sont en opposition totale avec notre temps (rappelons qu’après avoir maudit son violeur, Lucrèce se reproche « son crime » et demande pardon d’avoir souillé l’honneur de son époux avant de se suicider). Elle est ici en terrain connu, la violence du jeune Haendel lui sied particulièrement bien, que ce soit dans des récitatifs furibonds ou des arias qui le sont tout autant mais amplifiés par l’audace de la vocalise sur des écarts de tessiture assassins. La cantate sollicite d’ailleurs souvent son registre aigu dans lequel elle frôle l’accident, accuse quelques notes sourdes, mais ne cède pas, même dans un très tendu « Alla salma infedel porga la pena ». C’est dans la crainte de ces chutes que l’on sait que l’on est monté très haut.
En bis, après un agréable « Se l’aura spira tu » de Frescobaldi, c’est avec le saxon qu’elle rugit de nouveau dans le tourbillonnant « Se bramate d’amar qui vi sdegna » de l’empereur perse dont elle rends le désir capricieux et frustré avec autant d’agilité que de sincérité.