C’est un accueil des plus chaleureux que le public de Gaveau a réservé à Yusif Eyvazov pour son premier récital à Paris dans le cadre des Grandes Voix. Dès son entrée le ténor s’est montré à son aise sur le plateau, regardant peu ses partitions, occupant la scène avec un aplomb et une présence indéniable. Comment imaginer en le voyant établir avec un naturel désarmant une solide complicité avec les spectateurs, qu’il s’agissait également de son premier récital en solo ?
Le programme, astucieusement construit est adapté aux dimensions de la salle dans la mesure où il propose un éventail de romances et de mélodies de salon, tirées des répertoires russe et italien, avec quelques incursions dans la chanson napolitaine traditionnelle. L’opéra est également présent à travers un petit nombre de morceaux choisis avec soin.
La première partie s’ouvre avec trois pages de Rachmaninov que le ténor interprète avec une grande sensibilité et une voix robuste qui culmine à la fin de « Davno l’ moy drug » sur un aigu rayonnant. Le lyrisme exacerbé de l’opus 6 de Tchaïkovski est restitué avec de subtiles nuances et l’infinie tristesse qui émane de « Snova, kak prezhde odin » est exprimée avec une grande sobriété. Les romances de Kara Karaïev, compatriote d’Eyvazov constituent une heureuse découverte, en particulier « Ya vas lyubil » aux accents mélancoliques, sur un poème de Pouchkine.
Les deux airs d’opéra qui concluent cette partie permettent d’apprécier l’ampleur de la voix du ténor qui pourtant ne force jamais ses moyens et donne même l’impression qu’il a encore de la puissance en réserve. Sans doute L’air de Lenski ne demande pas une telle largeur vocale mais le désespoir du personnage est exprimé avec une certaine retenue. Quant à Hermann, ce qui nous est donné à entendre laisse entrevoir une belle adéquation entre l’interprète et le rôle. D’ailleurs Eyvazov l’a déjà à son répertoire depuis peu.
La seconde partie montre les grandes affinités qui existent entre le ténor et la musique italienne. Ainsi qu’il l’a confié à Christophe Rizoud dans l’interview qu’il lui a accordée, il a vécu pendant des années en Italie et s’est imprégné de la culture et de la langue de ce pays au point de chanter en italien avec une diction parfaite, sans la moindre trace d’accent étranger. Même en dialecte napolitain il parvient à donner le change. Aussi l’entendre dans Tosti ou de Curtis est un vrai bonheur. « Musica proibita » de Gastaldon ou « Core ‘ngrato » de Cardillo mettent la salle littéralement en délire. Généreux, souriant, sympathique, le chanteur ne se ménage pas bien qu’aucune once de fatigue ne soit perceptible dans sa voix. De même qu’il nous a fait découvrir un compositeur de son pays en première partie, Eyvazov présente un jeune baryton, lauréat de son concours « Sing with Yusif », Juan Carlos Heredia, qui chante avec lui un duo de Don Carlo. Si la voix est encore verte et peu nuancée, les moyens sont prometteurs. Dans cette partie nous aurons droit également à deux airs d’opéra, une « fleur que tu m’avais jetée » sonore, déclamée dans un français acceptable, que le chanteur dédie à Ekaterina Semenchuk -assise à côté de son épouse dans la salle- avec qui il aimerait un jour interpréter Don José et l’incontournable « Nessun dorma » dont l’aigu final longuement tenu est émis avec une facilité déconcertante et un volume qui ne demanderait qu’à s’épanouir dans un espace plus vaste.
Au piano, Enrico Reggioli, fort de son expérience de répétiteur et de chef d’orchestre, s’adapte avec bonheur aux divers répertoires abordés par le ténor. Visiblement ému, Yusif Eyvazov quitte la scène sous les ovations et une avalanche de bouquets de fleurs.