C’est dans le parc du Domaine d’O, folie XVIIIe aujourd’hui intégrée à l’agglomération montpelliéraine, que se déroulent Les Folies du même nom. Propriété du Conseil Général de l’Hérault, il y patronne, depuis qu’il ne subventionne plus l’Opéra National de Montpellier Languedoc-Roussillon, une manifestation dont l’objectif est d’ « attirer un large public en proposant des productions d’opérettes remises au goût du jour sans pour autant trahir la pensée des compositeurs ».
L’Elisir d’amore une opérette ? Les puristes vont se récrier, à juste raison, et les choix de l’équipe de cette production créée à Maastricht par L’Opera Zuid ne sont pas de nature à les rassurer. Posant en principe que l’œuvre est trop datée pour notre sensibilité, Nicola Glück décide de la rafraîchir en modifiant quelques données. Ainsi le village peuplé de paysans dépourvus d’instruction et enclins à croire au merveilleux (clin d’œil à La Sonnambula) est-il remplacé par un lycée (?) où Adina, Giannetta et Nemorino sont élèves. Belcore est un boxeur au look de rappeur et Dulcamara un professeur de chimie chahuté. Cette transposition – qui ne fonctionne qu’à moitié au premier acte et plus du tout au second – est évidemment censée plaire à un public jeune, à l’intention duquel on a même introduit des figures de break dance. Mais cette fois encore la cible visée n’est pas au rendez-vous, alors que des spectateurs « classiques » peut-être rebutés par la proposition ne sont pas venus.
Le parti pris entraîne, on s’en doute, des incohérences fréquentes entre ce contexte et le texte. On en constate une autre entre le projet – rapprocher l’œuvre de la jeunesse actuelle – et le choix, pour les costumes, de s’inspirer de l’esthétique « bandes dessinées » de Roy Lichtenstein. De plus, à coiffer les protagonistes de perruques de même inspiration on affaiblit leur individualité alors que la musique la nourrit. Sans insister davantage sur la répétition de certains gags prévisibles qui leur ôte toute saveur, ou sur l’animation du fond de scène qui parasite parfois les situations, on retiendra que la relation entre Nemorino et Adina est clairement mise en scène, peut-être grâce au talent des interprètes, et que les masses sont maniées assez habilement. Elles sont composées d’une petite troupe de danseurs, tous remarquables et somme toute assez discrets, et des chœurs de l’Opéra de Montpellier. Le conflit qui oppose ces derniers à Jean-Paul Scarpitta n’a pas désarmé : une annonce avant le spectacle rappelle les griefs, déplore le silence persistant des institutions malgré la grève du 28 juin et invite les spectateurs à soutenir leur cause en signant une pétition sur internet. Mis à contribution eux aussi par la chorégraphie, soumis par la mise en scène à des déplacements acrobatiques dans la structure métallique, portique et escaliers, qui encadre les gradins où ils ont couru s’asseoir après la sonnerie indiquant le début des cours, les choristes gardent toute leur cohésion et leur abattage.
Dans la fosse. Jérôme Pillement n’obtient pas toujours la légèreté sonore idéale, que seuls des instruments d’époque, à en croire Alberto Zedda, pourraient donner à la musique de Donizetti. Néanmoins les instrumentistes évitent l’écueil des effets de kiosque et c’est une version remarquablement nuancée que le chef dirige amoureusement. Souvent incolore, Giannetta reçoit de Caroline Fèvre une présence bien venue. C’est aussi ce qui fait le prix du Belcore de Filippo Fontana, qui semble au premier acte contrôler difficilement souffle et justesse, malgré des moyens adaptés, avant de s’épanouir ensuite. On connaît le perfectionnisme avec lequel Franck Leguérinel prépare ses rôles ; son Dulcamara laisse pantois par le relief et l’élégance paradoxale de sa composition, dont il gomme l’extravagance dans une progression aussi subtile que précise, à l’image de son interprétation vocale, taillée à facettes dans une diction exemplaire de l’italien. Bonne surprise que Leah Partridge, dont la voix riche est bien le soprano lyrique voulu par Donizetti ; un peu de vibrato superflu, quelque dureté dans l’aigu, mais une belle souplesse, une bonne projection, et un engagement scénique incessant. Excellente surprise, enfin, que de retrouver en Nemorino Edgar Ernesto Ramirez, entendu il y a deux ans dans La Cenerentola, car les faiblesses signalées alors semblent avoir été résolues de belle manière ! Il n’y a plus trace de nasalités et l’aisance vocale, y compris dans les agilités, fait rêver de le réentendre dans un rôle rossinien ; jusqu’au timbre qui semble s’être enrichi, avec un grave et un medium nourris qui soutiennent des aigus clairs et apparemment faciles. Il démontre en outre, dans la « furtiva lagrima » un dédain absolu des effets racoleurs qui achève de conquérir. Les spectateurs courageux qui avaient résisté à trois ondées lui font d’ailleurs un triomphe. Beaucoup, leurs rires le prouvaient, s’étaient amusés franchement. Donc, que l’on approuve ou non cette adaptation, un constat s’impose : elle a plu !