Pour sa reprise de saison, le Festspielhaus a proposé un joli programme consacré à Monteverdi, choix plutôt rare pour la maison, avec une jolie brochette de stars accompagnée par le Concert d’Astrée dirigé par Emmanuelle Haïm. La toujours énergique jeune femme impose un rythme très soutenu à son bel ensemble, élégamment virtuose. Derrière la main de fer et la précision d’horloger sourd pourtant une infinie mélancolie perceptible tout au long du concert démarré par des madrigaux guerriers et amoureux, fil conducteur d’une soirée où l’on a pu entendre également des extraits de l’Orfeo ou du Couronnement de Poppée avec un bel équilibre entre les airs de fureur et les lamenti. Tour à tour au continuo à l’orgue ou à la direction, l’exigeante interprète aide sa formation du Concert d’Astrée à donner le meilleur d’elle-même tout au long d’un programme où tous, chanteurs et musiciens, semblent trouver à se mettre harmonieusement en valeur, sans que qui que ce soit ne vole véritablement la vedette au compositeur.
Les stars étaient là, pourtant, à commencer par Rolando Villazón, très apprécié du public allemand et de celui de Baden-Baden en particulier. Si les madrigaux ne correspondent pas exactement à son répertoire, il parvient néanmoins à proposer une interprétation charmeuse quand bien même son approche paraisse plus verdienne que monteverdienne… L’auditoire lui offre un triomphe et il faut dire qu’on résiste difficilement à son éclatant déploiement de virtuosité. À ses côtés, Magdalena Kožená rayonne, notamment dans le rôle de Poppée où la puissance de sa voix ambrée se déchaîne, mais surtout dans le sensible « Lamento della ninfa » où technique et afféteries s’effacent pour laisser place à une expressivité, une passion, une vérité remarquable. La dyade du jour laisse s’épanouir également les autres talents et en premier lieu celui de Topi Lehtipuu, admirable de suavité, de tremblements langoureux et languissants, le tout saupoudré de cette distance un peu froide si caractéristique du beau ténor finlandais. Dans le bel équilibre général qui marque le reste de cette distribution de haut vol, une voix ressort plus particulièrement : celle de la basse Nahuel di Pierro dont le timbre s’impose avec majesté. Ses interventions, pourtant répétées, semblent infiniment trop courtes, ce qui crée une vague frustration et le désir de l’entendre ailleurs, dans des rôles plus étoffés. Les deux sopranos Lenneke Ruiten et Katherine Watson tirent elles aussi leur épingle du jeu avec de belles voix joliment accordées, sans toutefois transcender leur canzonetta « Chiome d’ore ». Plus discret, Emiliano Gonzalez Toro reste dans l’ombre de Rolando Villazón, mais se distingue dans l’Orfeo où il se montre égrillard à souhait, débordant de gaieté, et franchement impayable dans « Gira il nemico insidioso Amore ». Seul le contre-ténor Pascal Bertin semble peu en verve.
Au final, un très beau moment d’enchantement vocal, au temps élastique : les numéros s’enchaînent en grand nombre, courts, intenses et très contrastés, laissant alterner une première partie plus guerrière ou plaintive avec une reprise gaie et festive. Toute la palette monteverdienne est dépeinte, avec un sentiment de complétude, alors que seules deux heures de musique se sont égrenées.