Aix est tout petit pour ceux qui, comme nous, aiment la musique d’un aussi grand amour. Il n’est pas une place, une église, un musée ou l’on ne croise un festivalier abîmé dans la contemplation d’une des beautés de la ville. Là, on échange inévitablement ses impressions sur les spectacles à l’affiche. Interrogé dans la fraîcheur salutaire d’une chapelle séculaire sur le Requiem de Mozart mis en scène par Romeo Castellucci, un journaliste étranger extrait de son vocabulaire français ce seul adjectif : « prétentieux ». Il aurait pu ajouter « ennuyeux ».
Composé par Mozart sur son lit de mort, objet de nombreuses légendes, le Requiem fut à l’origine commandé par le Comte Walsegg pour commémorer sa défunte épouse. Inachevée, la partition fut complétée par un des élèves du compositeur, Franz Xaver Süssmayr. Sa prétendue théâtralité ne légitime en rien l’idée de la porter sur scène. Musique religieuse, elle ne prend son véritable essor que dans les lieux pour lesquels elle fut conçue. Afin de mieux l’extraire de son contexte naturel, Raphaël Pichon a inséré entre les différents numéros des pièces sacrées et profanes destinées à élargir le geste théâtral, et plus prosaïquement allonger la durée d’une œuvre trop courte sinon pour occuper une soirée entière. Admettons mais n’existe-t-il pas suffisamment d’opéras qu’il faille en fabriquer artificiellement de nouveaux ?
© Pascal Victor / Artcompress
Si le collage a fait l’objet d’une réflexion motivée par les enjeux dramatiques du projet, le résultat a pour premier effet d’imposer des enchaînements entre les différentes séquences que l’on peut trouver inopportun, même s’il n’est pas mauvais de temps à autre d’être bousculé dans ses habitudes. Surtout, la direction musicale, tempérée, introvertie pour ne pas dire recueillie, semble vouloir exalter la dimension spirituelle de l’ouvrage, à rebours de toute volonté scénique. L’avantage donné au chœur sur l’orchestre, enfoui dans la fosse, et la modestie vocale des quatre solistes participent à cette impression. Il faudrait une basse d’une autre ampleur que Luca Tittoto pour qu’entre le « Kyrie » et le « Dies Irae », tonnent les imprécations de « Ne Pulvis et Cinis » – une « parodie » du 3e chœur de Thamos Roi d’Egypte. Dans le Kirchenlieder « O Gottes Lamm », placé juste après l’« Agnus dei », le velours et la douceur de Sara Mingardo apparaissent comme un appel au catéchuménat. Contraints d’ajouter le geste et le mouvement au chant, les choristes atteignent un tel niveau d’excellence qu’à plusieurs reprises semble s’entrouvrir la voûte céleste.
Pendant ce temps, sur scène, Romeo Castellucci récite la litanie de tout ce qui n’est plus. Les noms des plantes, espèces animales, villes, langues, œuvres d’art, monument et religions disparus sont projetés tandis que figurants et choristes effectuent différents rites expiatoires et purificateurs : se barbouiller de peinture, se rouler dans la terre, danser une sorte de sirtaki, tresser des fils et finalement se déshabiller. « Il s’agit d’assumer pleinement le mot « fin », de le célébrer, pour ainsi dire, au revers d’une fête où la danse se poursuit, où toutes les présences sont appelées à disparaître telles des flammes ardentes » tente d’expliquer le metteur en scène qui, au contraire du chef d’orchestre, a banni toute notion divine de son propos. « Extinction du Christianisme » prophétisent les projections en même temps qu’elles annoncent l’« extinction » du rouge, de l’eau et, plus réjouissant, des larmes, de la politique et de la soif. Tout n’est cependant pas perdu : la vieille femme morte au début du spectacle renaît. Le rideau tombe sur l’image d’un bébé abandonné au milieu de la scène. Une partie du public se répand en de légitimes huées. Extinction des feux.