George Bernard Shaw disait : « Dans le Requiem allemand de Brahms, il n’y a que le cadavre qui puisse écouter sans perdre patience ! »
Quelle injustice à l’égard de ce chef-d’œuvre ! Pendant toute sa durée, il n’y a pas un instant où la musique ne soit frémissante, chargée d’âme et d’émotion. Elle vaut autant par ses envolées romantiques que par ses passages intimes inspirés à Brahms par la douleur de la mort de sa mère. Il n’y a pas un instant où l’on s’ennuie. Dans tout ce Requiem, il n’y a pas… un temps mort !
Nous l’avons entendu à la Philharmonie de Paris. La masse impressionnante du chœur était installée au-dessus de l’Orchestre de Paris dans un espace habituellement réservé au public. Au-dessus du chœur se trouvait le grand orgue. La vision impressionnante de cet ensemble donnait une image de la toute-puissance de la musique avant même que les premières notes n’aient été entendues.
Ces premières notes, la cheffe Simone Young les fit monter dans un climat mystérieux et magique qui nous saisit dès le début. On entendit sortir du silence la gamme sinueuse si bémol-do-ré-do-si bémol-la-sol-la qui gagne lentement les cordes de l’orchestre au début de l’œuvre et sur laquelle s’installe le murmure du chœur : « Selig sie, die da Leid tragen » (« Bienheureux ceux qui souffrent parce qu’ils seront consolés »).
Tout au long de l’œuvre, Simone Young dirigea avec une permanente souplesse des bras, des mains, du corps. Il y eut pourtant des passages où elle n’arriva pas à transmettre cette souplesse à ses musiciens et choristes et où la musique sembla avancer de façon métronomique là où nous aurions aimé un grand phrasé romantique. Simone Young maîtrisa admirablement d’autres passages, notamment les épisodes fugués. Elle retrouva à la fin l’atmosphère paradisiaque du début.
Deux solistes interviennent épisodiquement dans cette œuvre, une soprano pour chanter « Comme un homme que console sa mère, je vous consolerai » et un baryton pour exprimer l’angoisse de l’homme face à son destin. La soprano Elza van den Heever et la basse Wolfgang Koch nous ont semblé l’un et l’autre mal à l’aise. Tous deux, qui sont pourtant fort estimés sur la scène internationale, eurent un vibrato excessif, le baryton accusant même des défauts de justesse. En première partie du concert, la soprano nous avait pourtant gratifié de bien beaux Lieder de Berg.
Côté chœur aucune réserve. Une totale admiration devant la précision et la qualité du travail accompli. C’est le chœur qui fit vibrer à la fin cette musique sublime qui, partie du néant, y revenait, et s’achevait sur le plus simple des accords de fa majeur. La salle fut alors plongée dans un silence admiratif et religieux qui dura plusieurs secondes. On peut en la circonstance adapter à Brahms cette phrase célèbre « Le silence qui suit Mozart est encore de Mozart ». Ce n’est pas du Shaw mais du Guitry !