Le monde musical commémore cette année le 150e anniversaire de la mort d’Hector Berlioz, décédé le 8 mars 1869 à Paris. Cet événement a été salué en France par quelques beaux concerts, à défaut d’une intégrale des œuvres du compositeur (nul n’est prophète en son pays). Inapprochable quand il s’agit d’ingratitude et d’insouciance, la France n’a pas jugé nécessaire de commémorer le jour anniversaire de sa mort par une cérémonie de quelque éclat (mais nous avons eu notre part du « grand débat » : les cendres d’Hector doivent-elles être transférées au Panthéon ?). Les radios d’Etat n’ont pas vraiment non plus bouleversé leurs programmes. Une fois de plus, il faut se tourner vers la Grande-Bretagne pour voir le compositeur gratifié d’un hommage à la hauteur, avec cette Grande Messe des morts offerte précisément le 8 mars 2019. Démonstration de la popularité de Berlioz outre-Manche, le concert affichait complet depuis longtemps, au point que les organisateurs ont estimé bon de prévenir qu’il était inutile de se présenter le soir sans billet dans l’espoir d’un retour. A titre d’illustration, rappelons que « Hail to the Queen », repris en choeur par le public des concerts classiques populaires, est une version anglicisée du « Gloire à Didon » des Troyens. Composé en 1837, le Requiem requiert des forces inhabituelles : 216 instrumentistes et un chœur de 210 voix. Voire davantage puisque Berlioz préconisait de tripler cet effectif pour des concerts plus grandioses ! On reconnaîtra ici les tendances au gigantisme propres au compositeur : il ne manque plus que des jets d’eau, un grand escalier et des danseuses nues. Les exécutants réunis pour ce concert s’élèvent « modestement » à 100 instrumentistes et 198 choristes.
© Martin Kendrick
Pour autant, on serait de mauvaise foi en parlant de version de chambre, car la masse fait son effet ! A la tête de ce « monstre », John Nelson offre une direction « experte », comme on dit : tout est parfaitement en place, aucun décalage n’est perceptible, notamment avec les ensembles de cuivres placés aux extrémités de la croisée du transept. L’importante réverbération de la cathédrale est bien gérée. Du vrai travail de pro. Mais tout ceci reste bien sage, mesuré, propre. Le tempo est un peu lent, notamment dans les séquences théoriquement spectaculaires : à la décharge du chef américain, un rythme plus vif aurait sans doute généré une confusion totale en raison de la réverbération. Surtout, Nelson ne prend jamais l’œuvre à bras le corps pour en tirer tout l’impact dramatique : il nous berce plutôt qu’il nous bouscule. Le « Tuba Mirum », théoriquement cataclysmique, nous laisse ainsi sur notre faim. Privés d’une véritable émotion, les passages plus élégiaques ne nous ont pas davantage convaincus. Le Philharmonia Orchestra s’est révélé une fois de plus impeccable, mais guère nerveux, avec des couleurs un peu passéistes même, comme si la formation était restée complètement indifférente à l’apport des interprétations sur instruments anciens. Les choeurs féminins sont excellents, d’autant qu’ils sont accidentellement renforcés par des ténors qui abusent de la voix mixte dans l’aigu. Ainsi, à certaines occasions, nous croyons n’entendre que des sopranos, défaut que les ingénieurs du son pourront sans mal corriger ultérieurement, puisque cette soirée filmée doit faire l’objet d’une diffusion commerciale. Michael Spyres n’a que dix minutes à chanter, mais ces courts instants sont un pur bonheur : la voix est pleine, ronde, parfaitement homogène dans cette tessiture centrale où le ténor ne donne jamais l’impression de forcer. L’interprétation manque toutefois d’émotion alors que dans le « Sanctus », il s’agit d’exalter son créateur. Le chanteur donne davantage l’impression d’une promenade de santé que d’une quelconque vision mystique. Et quelle idée de l’avoir placé dans la chaire de la cathédrale, derrière ses 299 confrères : certes la voix reste parfaitement perceptible, mais elle manque d’impact pour l’auditeur du concert (là encore un défaut facile à corriger pour l’enregistrement).