En ce dimanche pluvieux, avec une grève paralysant les transports, on était en droit de s’interroger sur l’affluence à ce concert de musique sacrée centré sur le Requiem de Duruflé. La surprise est, d’abord, de découvrir un Auditorium de Dijon très bien rempli, malgré ces handicaps.
La première partie, entièrement chorale, a cappella, réussit ce tour de force de soutenir l’attention avec un programme aussi ambitieux que cohérent et varié. La salle s’obscurcit lorsque retentit, en coulisses, le Salve regina grégorien, confié évidemment aux seules voix d’hommes. Le public est ainsi plongé dans une atmosphère de recueillement et de ferveur, qui se maintiendra tout au long du concert. Cette même antienne, traitée par Miklos Kocsar (qui vient de disparaître), réapparaît à deux, puis trois voix de femmes en une polyphonie luxuriante. Suivent, sur scène, trois pièces de Francis Poulenc, deux motets pour voix mixtes et le « Seigneur, je vous en prie » pour chœur d’hommes. Le Chœur de l’Opéra de Dijon s’y montre sous son meilleur jour : souple, puissant, équilibré, homogène, avec des couleurs séduisantes. Deux des motets les plus connus de Duruflé (Ubi caritas, et Tantum ergo) voient la Maîtrise de Dijon se joindre au chœur. La fusion est remarquable et les quelque quatre-vingt chanteurs trouvent dans l’introït du Requiem de Lobo l’occasion d’en souligner la piété comme la force, la confiance. Sur un signe du chef, les choristes se tournent de façon surprenante vers le fond de scène pour une autre antienne, Ô Virgo splendes, qui ouvre le chansonnier du Livre vermeil de Monserrat (fin du XIVe siècle). La polyphonie, souvent illustrée par les ensembles de musique ancienne, séduit par sa métrique régulière (les déambulations qu’elle accompagnait) et par son caractère répétitif comme festif.
C’est la version pour mezzo-soprano, baryton, chœur et grand orchestre du Requiem de Duruflé qui nous est offerte en seconde partie. N’aurait-il pas été judicieux de terminer sur l’œuvre phare, la plus forte, plutôt que par le célèbre Cantique de Jean Racine, de Fauré ? Etonnamment, le choix s’avère judicieux, à la faveur d’une nouvelle surprise pour conclure. Imprégné de plain-chant et de musique liturgique, le grand organiste que fut Duruflé ne connut la célébrité qu’à partir de son Requiem, première de ses rares compositions orchestrales. A contre-courant des évolutions musicales de son temps, sa musique s’enracine dans la meilleure tradition de Fauré, Debussy, Dukas et autres musiciens français qui l’illustrèrent avec élégance, profondeur et poésie. Florent Schmitt, rendant compte de sa création, écrivait que l’œuvre avait retenu l’attention du public, bien qu’elle fût « sans calcul, sans concession ». La permanence du chant grégorien et une inspiration fervente irriguent l’ouvrage. L’harmonie y est aérée, fluide autant qu’élégante. La retenue comme la force de l’accent expressif, si anachronique en son temps, en fait un ouvrage singulier proche de l’atmosphère de Fauré, dans son écriture, sa structure et ses moyens. A rebours d’un certain angélisme policé, Anass Ismat impose une vision dramatique, très contrastée, où toutes les indications dynamiques, du triple piano au triple forte, sont scrupuleusement respectées. Le geste est clair, précis et obtient des incises, des phrasés, des équilibres parfaits. Les motifs grégoriens sont toujours clairement identifiables, au chœur comme à l’orchestre. La sérénité lumineuse, la douceur générale dominent, contredites ponctuellement par l’intensité dramatique de quelques passages (crescendo du Sanctus, le Libera me, en particulier). La diction exemplaire des chanteurs confère une intelligibilité constante au texte liturgique. Illustré littéralement, celui-ci nous vaut neuf épisodes qui sont autant de méditations très différentiées. Faut-il préciser combien les voix de Victor Sicard et de Yael Raanan-Vandor, pleines, chaudes et idéalement projetées s’accordent à l’œuvre ? Les qualités de l’Orchestre Dijon Bourgogne et de ses solistes sont à l’unisson de celles des chanteurs. « Un moment de rêve et de jubilation spirituelle rare qui fait dire que c’est à enregistrer et diffuser largement » me souffle un ami organiste et fin musicien.
Le Cantique de Jean Racine, qu’ont chanté la plupart des choristes amateurs, trouve ici une interprétation singulière : le chef invite les voix d’hommes de la maîtrise à gagner la salle pour y chanter leur partie. Ainsi le public baigne-t-il dans cette musique émouvante et tonique, puis « retourne comblé », pour reprendre la fin du texte de Racine.