Au sein d’une programmation très portée sur les grands tubes du répertoire, le méconnu et spectaculaire Belshazzar‘s Feast de Walton constituait un événement immanquable. L’effectif pléthorique requis pour cette cantate ayant rendu les répétitions impossibles, il faudra patienter jusqu’à la saison prochaine pour l’entendre. Dans l’immédiat, il faut saluer les efforts de l’Orchestre de Paris pour trouver une autre rareté à jouer lors de ces concerts de mars : si son Requiem s’impose incontestablement comme l’opus le plus célèbre de Maurice Duruflé, il reste loin d’être omniprésent au programme des salles de concert – et a même fait, à l’occasion de ces deux soirées des 9 et 10 mars, son entrée au répertoire de l’Orchestre.
Il a pourtant tout pour plaire à un large public. Commande d’Etat du régime de Vichy finalement achevée, créée et réglée sous la IVe République, l’œuvre exclut le « Dies Irae » pour rechercher un apaisement qui culmine dans le « Sanctus » et le « Pie Jesu » : le Requiem de Fauré, bien sûr, n’est pas loin, mais c’est surtout l’influence du chant grégorien qui lui donne sa lumineuse identité, parée de couleurs iridescentes, hors des écoles et hors des âges. Klaus Mäkelä se montre à son meilleur dans cette partition si exigeante : fervente sans être boursouflée, sobre en évitant la sécheresse, sa direction projette cordes et bois en de grands aplats de lumière et fait de l’Orchestre de Paris le plus beau des écrins pour les choristes. C’est d’autant plus heureux que ces derniers restituent l’esprit du plain-chant avec le plus grand naturel : si la netteté des lignes du « Kyrie » pourrait faire croire qu’il n’y a qu’un chanteur par partie, la profusion sonore du long « Domine Jesu Christe » ne laisse aucun doute sur la capacité de l’ensemble à créer une véritable cathédrale sonore, assez souple cependant pour donner au « In Paradisum » conclusif la finesse d’un souffle, achevée sur un épais silence. Les deux solistes invités pour l’occasion sont de jeunes chanteurs ukrainiens, mais leur engagement aurait de toute façon ému l’assistance, même sans les dramatiques affrontements qui ensanglantent leur pays. Voix de bronze et présence marmoréenne, le baryton Iurii Samoilov fait trembler le poignant « Libera me », quand sa compatriote Valentina Pluzhnikova dépose le velours ocre de son timbre sur un « Pie Jesu » d’une douceur infinie.
La première partie n’était pas moins riche en émotions : en ouverture de programme, le rare Ebony Concerto rappelle l’influence jouée par le jazz sur la musique de Stravinsky – singulièrement après son installation aux Etats-Unis. D’aucuns parleraient d’appropriation culturelle ; le soin avec lequel l’auteur plie sa science de l’orchestration aux fantaisies, aux variations et aux improvisations du jazz sonnent avant tout comme un hommage. En effectif chambriste (pas de cordes outre une guitare et des contrebasses, mais des saxophones de diverses tessitures, des trompettes, des trombones, un cor…), l’Orchestre soutient admirablement Philippe Berrod, son clarinettiste solo en état de grâce. Etat de grâce également pour Yuja Wang, chez elle dans les passages les plus virtuoses du Premier Concerto pour piano de Rachmaninov, œuvre de jeunesse que le compositeur révisa des années plus tard, à l’aune des triomphes obtenus par le Deuxième et le Troisième. Aussi flamboyant qu’impeccablement tenu, son jeu, qui n’oublie jamais le phrasé ni la ligne mélodique, trouve un partenaire idéal en Klaus Mäkelä, soucieux d’offrir un accompagnement anguleux et acéré. Une transcription de Marquez, une Romance sans parole de Mendelssohn et l’hallucinante paraphrase sur Carmen signée Horowitz : il fallait bien trois bis pour se remettre de ses émotions !