En préambule aux célébrations du bicentenaire de la naissance de Giuseppe Verdi, ce Requiem ouvre en fanfare, si l’on ose dire, la saison des concerts de l’Orchestre Philarmonique de Monte-Carlo.
Son chef référent, Gianluigi Gelmetti, en donne une lecture à l’eau-forte qui exalte jusqu’au paroxysme les contrastes sonores. L’œuvre y prend une tournure convulsive très spectaculaire, les rugissements et les murmures alternés de l’orchestre exprimant l’amplitude démesurée des soubresauts qui agitent l’homme en proie à l’angoisse à l’heure de comparaître devant son Juge. L’auditeur est ainsi ballotté par des coups de boutoir d’une tempête entre lesquels il peut à peine reprendre son souffle, bientôt emporté par la vague successive. Ces tonitruances ont une efficacité d’uppercuts mais leur succession tend, pour nous, à privilégier les effets acoustiques au détriment de la progression et de l’intériorité. Non que l’on oublie que Verdi était, sinon athée, au moins agnostique et que mettre en musique les paroles de la liturgie ne signifiait pas pour lui croire à leur contenu. Mais des lectures moins véhémentes nous semblent plus proches de l’attitude du croyant fervent qu’était Manzoni, auquel le Requiem est dédié et pour l’amour duquel Verdi entra en empathie avec les convictions de l’écrivain.
Mais au-delà de préférences qui portent sur des nuances, rien de plus mérité que les longues ovations qui ont remercié le chef et l’orchestre, dont tous les pupitres étaient manifestement sur le pied de guerre pour ce concert d’ouverture auquel assistait discrètement la famille princière. Ovations qui ont salué aussi la participation splendide des chœurs du Regio de Parme et de l’Opéra de Monte-Carlo, dont la répartition judicieuse a permis des effets de stéréophonie surprenants et dont la qualité superlative a rendu justice tant aux formidables ensembles qu’aux piani les plus transparents.
Les solistes sont des noms fameux du théâtre lyrique, comme ceux que Verdi avait engagés en 1874. Martina Serafin aborde l’œuvre ; on pourrait préférer une voix plus lumineuse, mais la chair de la sienne charge les mots d’une proximité toute humaine qui fait frissonner. Pour Daniela Barcellona ce Requiem n’a pas de secret : effet de l’art ou conviction, ce qu’elle chante rayonne de spiritualité sans le moindre effet vocal racoleur, d’une pureté chambriste. Massimo Giordano renonce lui aussi à souligner le trait, et cette élégante sobriété estompe subtilement l’aspect le plus profane de sa partie de ténor. Orlin Anastassov, enfin, le seul à chanter sans partition, descend aisément dans les abysses où Verdi amène la basse. Les voix féminines se marient bien et le quatuor est admirable de musicalité, aucun des interprètes ne cherchant à s’imposer.
Se mettre au service de la musique : c’est sans nul doute ce qui animait chacun des participants à l’aventure que constitue la mise en place d’une œuvre d’aussi vastes effectifs. Le résultat, que l’on apprécie plus ou moins le parti-pris du chef, n’en reste pas moins une exécution en tous points électrisante. A Monte-Carlo le bicentenaire Verdi a démarré alla grande !
Version recommandée :
Verdi : Messa da Requiem | Giuseppe Verdi par Daniel Barenboim