L’entrée de La Donna del lago au répertoire de l’Opéra de Paris constitue un événement d’autant plus important que, si l’on excepte les représentations de Semiramide affichées au Théâtre des Champs-Élysées en 1981, durant le mandat de Bernard Lefort, notre première scène nationale a superbement ignoré la Rossini-Renaissance1 et s’est contentée, au cours des quatre dernières décennies, de proposer invariablement Le Barbier, La Cenerentola ou L’Italienne à Alger pour célébrer le Maître de Pesaro.
Cette nouvelle production, qui a bénéficié de tout le soin nécessaire, s’avérait alléchante sur le papier mais il faut bien reconnaître qu’elle ne tient guère ses promesses, du moins pour ce qui nous est donné à voir.
Le décor unique d’Ezio Frigerio situe l’action à l’intérieur d’un gigantesque hémicycle orné de colonnades, sorte de théâtre à l’italienne en ruines, qui s’ouvre par le milieu, laissant entrevoir tantôt une toile peinte partiellement brûlée représentant un paysage lacustre, au premier acte, tantôt un pan de mur brisé, tantôt un miroir.
Divers accessoires utiles à l’action émergent au centre de l’hémicycle : la barque d’Elena, un rocher, une harpe, voire un pupitre pour le rondeau final, d’autres descendent des cintres : une armure, un arbre, ou encore de grands lustres qui rappellent ceux déjà vus à Pesaro en 2009 dans la production du Comte Ory (signée du même metteur en scène, cf. le compte-rendu d’Antoine Brunetto)
Le propos de Lluis Pasqual s’avère particulièrement abscons : sans doute, a-t-il voulu souligner le caractère superficiel de cette musique en montrant que l’intérêt de l’ouvrage repose essentiellement sur les performances vocales au mépris de toute vraisemblance théâtrale. Le traitement du dernier tableau avec l’apparition des lustres et du pupitre durant le morceau de bravoure d’Elena semble le confirmer. Toujours est-il que la direction d’acteurs est minimaliste, pour ne pas dire inexistante : les chœurs, en costumes contemporains, smoking pour les hommes, robes du soir pour les femmes, figurent sans doute les spectateurs de ce théâtre fantomatique au fond duquel ils se tiennent immobiles. Les protagonistes, en tenues d’époque, semblent figés dans des postures stéréotypées tandis que quatre danseurs, une femme et trois hommes, dont les interventions lassent rapidement, miment l’action à leur place.
Au salut final, Lluis Pasqual et son équipe seront accueillis par une bordée de huées.
Dans la fosse, Roberto Abbado propose une lecture bien peu convaincante de la partition, plombant les passages élégiaques et confondant crescendo rossinien et marche militaire, notamment dans le final du premier acte.
En revanche le plateau vocal, de tout premier ordre, parvient à sauver la soirée.
Les seconds rôles sont tous remarquablement tenus. Citons l’élégant Serano de Jason Bridges aux moyens prometteurs et la belle Albina de Diana Axentii dont le joli timbre nous fait regretter la brièveté de ses interventions.
Douglas trouve en Simon Orfila un interprète de haute volée, la voix est de bronze et la caractérisation tout à fait idoine en dépit d’une ligne de chant un rien monolithique.
Malcolm est l’un des chevaux de bataille de Daniela Barcellona qui chante ce rôle depuis plus de dix ans et qui en livre ici une interprétation solide et émouvante. La voix a gagné en homogénéité sur toute son étendue et le style n’appelle aucun reproche majeur.
Si Colin Lee ne possède pas exactement la tessiture de baryténor que requiert le rôle de Rodrigo, il parvient à compenser les quelques carences de son registre grave par un engagement intense et une technique accomplie qui lui permet d’affronter crânement son redoutable air d’entrée « Eccomi a voi » et de faire valoir une quinte aiguë particulièrement brillante.
Juan Diego Flórez est sans doute le meilleur titulaire actuel d’Uberto qu’il a chanté pour la première fois en France au Festival de Montpellier en 2002. En très grande forme, le ténor péruvien se montre aussi à l’aise dans les passages élégiaques, qu’il nuance avec une rare élégance, que dans les airs de bravoure où la vélocité de ses vocalises, exécutées avec une facilité désarmante, électrisent l’auditoire.
Joyce DiDonato est elle aussi au sommet de ses possibilités vocales. La tessiture d’Elena lui sied comme un gant : le grave est somptueux, l’aigu brillant et jamais forcé. Son air d’entrée, « Oh Mattutini albori », délicatement interprété, exerce une irrésistible séduction tandis que son rondeau final incandescent, d’une précision redoutable, fait miroiter les couleurs chatoyantes de son timbre et lui vaut un accueil triomphal du public.
Au final, un spectacle théâtralement déconcertant qui comblera néanmoins les amateurs de beau chant rossinien.
1 Du moins pour ce qui concerne les ouvrages en italien de Rossini et plus particulièrement ceux de la période napolitaine, si féconde, dont La Donna del lago est, à notre connaissance, le premier à faire son entrée à l’Opéra dans sa version originale. Par ailleurs, les reprises de Moïse et du Siège de Corinthe sous Bogianckino ainsi que de Guillaume Tell sous Hugues Gall sont restées à ce jour sans lendemain.
NB : A lire au sujet de La Donna del lago, le numéro 255 de l’Avant-Scène Opéra : « Un numéro indispensable ».