Seul le Roi s’amuse dans la pièce de Victor Hugo qui inspira Rigoletto. Ne pas se fier au titre. Comme l’opéra de Verdi, le drame hugolien ne prête pas à rire, ni même à sourire. Pourtant, l’adaptation combinée des deux ouvrages par Waas Gramser et Kris Van Trier au Théâtre de l’Athénée jusqu’au dimanche 12 juin parvient plus d’une fois à dérider la salle. Là n’est pas la moindre prouesse d’une démarche qui mêle comédie et tragédie, texte et chant, français et italien, dans le but avoué d’élargir le public de l’opéra – louable intention dont l’enfer, on le sait, aime se paver.
S’il n’est pas certain que cette forme hybride de spectacle convertisse les moins initiés à un genre réputé difficile, force est de reconnaître l’originalité de l’approche et la rigueur avec laquelle elle est menée. Trois bouts de ficelle – un décor réduit à la portion congrue, une mise en scène (Tom Goossens) axée sur un plateau pivotant occupé par un piano droit – suffisent à raconter l’histoire de Rigoletto telle que nous la connaissons, exception faite du dénouement final placé en début de représentation selon l’usage désormais fréquent du flashback. Penché sur le cadavre de sa fille, le bouffon du roi, « sublime et grotesque », revit les événements qui ont précipité le drame.
© Proko and Penka
Les interprètes sont au nombre de six : trois comédiens et un pianiste qui parfois chantent ; deux chanteurs qui parfois parlent. Ces derniers – Lars Corjn (François 1er/Mantoue) et Esther Kouwenhoven (Blanche/Gilda) assument le versant lyrique du spectacle, avec pour le ténor une voix non dénuée d’éclat mais en difficulté au-dessus du Sol, et pour la soprano une maîtrise admirable de la partition – ses aigus mais aussi ses ornements et ses nuances. « Caro nome » peut ainsi former cette parenthèse poétique durant laquelle la machine dramatique semble suspendre ses rotatives.
Dans cet opéra d’ensembles qu’est Rigoletto, il est indispensable que le bouffon – Filip Jordens – et les deux comédiens chargés d’incarner l’ensemble des autres rôles – Tom Goossens et Karlinj Sileghem – donnent aussi parfois de la voix, dût la justesse en souffrir et toutes références lyriques être écartées si l’on veut pouvoir adhérer à la proposition musicale. Mais, au piano – et au chant chaque fois que nécessaire –, Wouter Deltour maintient tant l’équilibre que l’esprit de la partition, si bien qu’en dépit d’innombrables libertés, Verdi prend l’’avantage sur Hugo. Les tirades théâtrales glissées de ci, de là, s’avèrent souvent difficiles à comprendre car malmenées par des comédiens au débit précipité.
Réconcilier parole et musique est un entreprise à laquelle l’art lyrique s’emploie non sans mal depuis sa création. Comment reprocher à cette sympathique relecture de n’y parvenir qu’à moitié.