Si le mistral n’y souffle pas, le ciel peut être chiche en Poitou. Les spectateurs, chaudement vêtus, ne se sont pas découragés pour autant, et n’auront pas été déçus. Nul ne pouvait prédire en 2000 que Rigoletto, qui ouvrait l’extraordinaire aventure du festival, réapparaîtrait, magnifié, pour cette dix-septième édition. Le vaste amphithéâtre gallo-romain, au milieu des champs, à l’écart d’une modeste bourgade, accueille mieux que jamais une production très professionnelle, bonne enfant, chaleureuse malgré la fraîcheur, mais musicalement aussi exigeante que bien des scènes réputées.
La mise en scène, contrainte par le plein-air, outrepasse heureusement une simple mise en espace. Les voix ne sont pas amplifiées et passent fort bien, malgré l’absence de mur de fond. Agostino Taboga signe un beau livre d’images dans lequel vont évoluer les chanteurs, habillés avec un goût très sûr par Shizuko Omachi. Un grand portique, posé en biais, noir, puis aux parois de miroirs, autorise les entrées comme les sorties. Il partage l’espace et constituera l’élément commun aux deux premiers actes. Le troisième se déroulera autour du bouge de Sparafucile et de sa sœur, joliment figuré par sa poutraison. La direction d’acteurs, conventionnelle, n’en est pas moins efficace.
© Patrick Lavaud
La distribution, aguerrie au répertoire verdien, se signale par sa jeunesse et sa maturité. Si le Duc, Rigoletto et Gilda dominent naturellement, elle ne comporte aucune faiblesse, y compris dans les petits rôles. Carlos Almaguer campe un Rigoletto de classe : la voix est profonde, expressive, sonore et sait se montrer tendre et pathétique, empreinte d’une grande douceur. Du mordant, de l’aplomb aussi. Le Duc de Stefan Pop, sans mièvrerie, d’une lumineuse aisance, viril, solaire, toujours aristocrate, séducteur né, est une grande voix, au soutien irréprochable, à l’élocution claire, mais pourquoi le vibrato s’élargit-il singulièrement dans les tenues finales ? La tentation de forcer le trait ? Olga Pudova incarne une Gilda émouvante, innocente, délicate, à l’érotisme juvénile. L’intelligence du rôle est manifeste. La qualité d’émission, perlée, aérienne, le soutien, une technique très sûre suffisent à convaincre et nous changent de certaines sopranos lyriques qui ont simplement oublié la jeunesse de l’héroïne. On regrette de ne pas entendre davantage Ketevan Kemoklidze, magnifique mezzo géorgienne habitée par Maddalena. Naturellement sonore, l’émission est ronde, pleine. Tout juste manque-t-il un soupçon de vulgarité à la prostituée complice des crimes de Sparafucile. Celui-ci est Felipe Bou, parfait dans cet emploi, qui sollicite peu le registre grave, excellent comédien par ailleurs. Armen Karapetyan est un solide Marullo tout comme Nika Guliashvili qui nous vaut un tragique Monterone. Blandine Folio-Peres et Fabien Leriche, comtesse et comte de Ceprano, Aline Martin, Giovanna, sans oublier Alfred Bironien, Borsa, participent pleinement à la réussite de la production.
La qualité réelle de l’orchestre est une agréable surprise : reconstitué chaque festival autour d’un « noyau dur » constitué de musiciens de la formation symphonique régionale, il est pleinement engagé et la plénitude, l’équilibre, la précision des attaques, la dynamique sont au rendez-vous. Eric Hull, familier du répertoire lyrique, dirige avec toute l’attention, toute l’énergie, la finesse et l’élégance requises. Le chœur d’hommes remplit fort honorablement son contrat : là encore, l’engagement lié à des qualités vocales réelles emporte l’adhésion.