Après ses représentations triomphales du Cid de Massenet et du Roi Arthus de Chausson à l’Opéra Bastille, la saison parisienne de Roberto Alagna s’achève brillamment avec ce récital d’airs d’opéras à la Philharmonie en compagnie de la mezzo-soprano ukrainienne Iryna Zhytynska. La première partie de la soirée est entièrement consacrée à Verdi. Le couple mezzo / ténor permet de proposer des pages rarement données au concert comme ce duo de Luisa Miller qui offre aux deux artistes la possibilité de se chauffer la voix et au public de découvrir le timbre délicatement ambré de la cantatrice. Hélas les choses se gâtent un peu pour elle avec « O don fatale » et ses écarts meurtriers qui la poussent aux limites de ses possibilités : dans l’aigu, d’abord, à peine esquissé et dans le grave exagérément appuyé au point de dénaturer la ligne vocale. Dommage, car la jeune chanteuse ne manque ni d’abattage ni de personnalité, mais pour Eboli, c’est trop tôt, elle risque de s’y brûler les ailes. Souhaitons-lui de ne pas aborder le rôle entier dans les saisons à venir. La tessiture d’Amnéris semble lui convenir davantage, du moins dans le duo du début du quatrième acte d’Aïda où elle peut donner libre court à son tempérament mais la voix n’est pas suffisamment projetée et se retrouve souvent couverte par l’orchestre, en tout cas au premier balcon. Quant à la diction italienne, elle laisse par moment à désirer.
D’un tout autre niveau est la performance de Roberto Alagna dont le grand air d’Alvaro dans La forza del destino constitue le sommet de cette première partie. Essentiellement lyrique à ses débuts, la voix du ténor a évolué vers le spinto et flirte même avec le dramatique. Le legato est toujours impeccable et Il possède désormais un medium large et solide, un grave nourri et un aigu puissant, comme on a pu le constater dans Le Roi Arthus, autant d’atouts qui lui permettent de donner de cette page une interprétation tout à fait exemplaire tant du point de vue vocal que théâtral, saluée par d’infinis applaudissements.
Changement de climat après l’entracte : c’est l’opéra français qui est à l’honneur dans la seconde partie qui s’ouvre avec le duo de Samson et Dalila pour lequel Iryna Zhytynska fait une entrée remarquée dans une robe verte qui met en valeur sa plastique impeccable. Le chant est à l’avenant : la diction française est intelligible et le personnage déborde de sensualité maléfique. La partition ne semble pas lui poser de problème particulier, sa Dalila a du chien et du style, c’est un parcours sans faute qu’elle nous propose là. Face à elle, Alagna campe un personnage viril et fragile à la fois, tiraillé entre son devoir et son amour. Ce qu’il donne à entendre dans cet extrait est d’un niveau tel qu’on imagine quel Samson il pourrait être dans l’opéra intégral. Voilà un rôle pour lequel ses moyens actuels semblent tout indiqués. Un théâtre serait bien avisé de monter rapidement pour lui cet ouvrage qui a disparu des scène internationales depuis quelque années.
Le reste du programme est sans surprise. Le ténor est tout à fait à son aise dans Le dernier jour d’un condamné composé sur mesure pour sa voix par son frère David. Son Don José, bien connu désormais, est toujours au sommet tandis que la Carmen de Zhytynska se révèle moins convaincante que sa Dalila.
Saluons la performance au pupitre de Giorgio Croci à la tête d’un orchestre National de Lille de toute beauté, les vents notamment. Le chef italien est à son affaire dans le répertoire Verdien où sa battue à la fois souple et énergique fat merveille, aussi bien dans l’élégie (Alvaro) que dans le drame (Eboli). Le répertoire français lui réussit tout aussi autant comme en témoigne sa direction très théâtrale de la scène finale de Carmen ou de l’intermezzo du Dernier jour d’un condamné.
La soirée s’achève avec cinq bis dont le choix est pour le moins éclectique : Le duo Dimitri / Marina de Boris Godounov répond à celui de Piquillo / La Périchole d’Offenbach, entre les deux une chanson ukrainienne au texte un peu coquin qui permet à la chanteuse de se trémousser joliment et une chanson napolitaine mélancolique pour le ténor. Comme la salle en redemande, les deux protagonistes proposeront un fragment du duo de Boris avant de s’en aller sous d’interminables vivats.