Dans ses Mille et un opéras, ouvrage pourtant de référence, Piotr Kaminski jette un peu vite aux orties Rosmonda d’Inghilterra, exhumée par le Maggio musicale fiorentino à l’occasion de son premier festival de belcanto dans la version jusqu’alors inédite de la création, à Florence justement en février 1834. La dernière collaboration entre Gaetano Donizetti et Felice Romani – le librettiste d’Anna Bolena et de L’elisir d’amore – nous semble mériter mieux qu’un court paragraphe condescendant, ne serait-ce que par son sujet qui compile en une dramaturgie efficace tous les thèmes à la mode du primo ottocento : rivalité amoureuse entre deux femmes sur trame historique dans un royaume d’Angleterre où, au premier acte, la relation père-fille annonce les grands drames verdiens, Rigoletto notamment. Des enjeux politiques et des personnalités ambivalentes aident l’intrigue à se démarquer des stéréotypes.
De la partition, la postérité n’a retenu qu’un seul air, repris ensuite dans la version française de Lucia di Lammermoor, et enregistré régulièrement par les sopranos un tant soit peu dégourdies, la dernière en date étant Diana Damrau dans son récital Fiamma del belcanto (Erato). Mais trois duos pour le moins et un grand finale en forme de concertato mériteraient davantage de considération à condition, comme toujours dans ce répertoire, de disposer d’interprètes à même de relever leurs multiples défis vocaux. Le soir de la création, Donizetti pouvait compter sur rien moins que Fanny Tacchinardi Persiani (la future Lucia) dans le rôle-titre, Anna Del Sere (La future Elisabetta dans Maria Stuarda) en Leonora et Gilbert Duprez (le futur Edgardo dans Lucia) en Enrico II. Le Maggio musicale fiorentino, lui, aligne les noms de Jessica Pratt, Eva Mei et Michael Spyres en un tiercé, devenu quintet avec l’adjonction de Nicola Uluvieri et Raffaella Lupinacci, qui se révèle finalement gagnant, le premier mérite de cette distribution étant de parvenir à un juste équilibre des timbres avec notamment trois voix féminines clairement différentiées.
© Simone Donati
Tous les chanteurs de cette exhumation ne sont certes pas égaux face à une écriture codifiée mais tous se jettent dans la bataille vocale avec l’ardeur nécessaire pour qu’en l’absence de mise en scène, le drame puisse malgré tout prendre forme. Raffaella Lupinacci et Nicola Uluvieri, si leur vocabulaire est moins étendu – et leur rôle moins développé –, offrent un chant de bonne tenue, elle surtout avantagée par un timbre dont la plastique, associée au tracé égal de la ligne, surligne l’engagement.
En Leonora, Eva Mei joue des registres disjoints pour dessiner les deux visages d’une reine d’Angleterre dont on ne sait finalement si les motivations sont politiques ou amoureuses. La force, y compris dans des coloratures données à pleine voix, finit par l’emporter sur le sentiment en des traits de fureur sans lesquels l’opéra romantique serait un boudoir trempé dans une décoction aux pétales de rose.
Après le triomphe de son hommage à Nozzari la veille, Michael Spyres endosse un costume cette fois taillé aux mesures de Gilbert Duprez, auquel il consacrera un enregistrement en février prochain. Ce nouvel habit est-il le mieux en adéquation avec sa vocalité ? La position de la voix a été adaptée à une autre forme d’écriture, les registres lissés ; la musicalité reste remarquable, les ornementations débridées et l’accent toujours conforme aux sentiments exprimés. Mais le ténor donizettien, tel qu’il commence à se dessiner en ces années 1830, nous semble exiger une émission plus musclée, un phrasé plus large et une étoffe plus épaisse bien que toujours veloutée, dût-il renoncer à ces suraigus dont Michael Spyres se montre une fois encore prodigue (sans pouvoir leur offrir ici comme dans Rossini un équivalent à l’autre extrême de la portée).
Jessica Pratt, dont Semiramide en début de mois sur cette même scène pouvait apparaître audacieuse, trouve en Rosmonda un rôle idéal pour mettre en valeur la pureté du son et l’intelligence d’une technique placée au service de l’expression. Les passages les plus élégiaques appellent cette longueur de souffle nécessaire à l’effilage des notes. La franchise de l’attaque, la précision de traits dardés, la souplesse échevelée de la vocalise, jusqu’au contre-mi, viennent conforter le tempérament d’une héroïne qu’il serait erroné de prendre pour une agnelle. La validité de la proposition dramatique repose sur ce parti-pris.
A la tête d’un chœur d’une cohérence sans faille y compris dans l’ivresse de l’hallali introductive et d’un orchestre impeccable dont la virtuosité de la flûte n’a rien à envier à celle de la clarinette la veille, Sebastian Rolli achève de démontrer la validité musicale de la partition, jouant la carte de l’équilibre des volumes, du rythme et de la dynamique pour mieux accentuer quelques rares ruptures de tempo imposées par l’urgence dramatique. Démonstration étant faite, à quand une représentation scénique ?