Parcours fulgurant que celui d’Olga Peretyatko, jeune chanteuse russe révélée en 2006 dans le Viaggio a Reims de l’Accademia Rossiniana et propulsée dès l’année suivante sur le devant de la scène du ROF1 en Desdemona d’Otello. C’était aller un peu vite en besogne, l’essence légère de la voix ne correspondant en rien à la typologie d’un rôle mythique défendu par les plus grandes. Elle revient à Pesaro deux ans après dans un costume mieux adapté à son soprano, Giulia de La Scala di seta, avec en prime un récital de belcanto qui la place d’emblée dans la cour de ses aînés : José Manuel Zapata, Mariola Cantarero, Gregory Kunde. Deux ans ; le temps de prendre un recul salutaire, parfaire sa formation au sein de la compagnie du Staatsoper de Hambourg et enrichir son répertoire : Gilda et Sofia du Signor Bruschino dont les grands airs figurent naturellement au programme de ce récital.
« Caro nome che il mio cor » montre d’ailleurs le chemin parcouru depuis Otello : de l’audace toujours – notamment dans l’aigu et le suraigu – mais sans effronterie, ni simagrée, du souffle et une ligne délicate sur laquelle, passé le récitatif – un « Gualtier Maldé » qu’on aimerait encore plus exhalé – Olga Peretyatko brode des vocalises habitées qui nous laissent entrevoir l’âme de Gilda. Le chant, limpide, n’a rien de mécanique, ni de forcé. Est-il capable de traduire avec la même vérité les affres, les désillusions et la grandeur résignée du rôle ? Pas sûr mais, dans cette première approche, la démonstration s’avère convaincante. Bien plus que ne l’est « Ah, donate il caro sposo » du Signor Bruschino. La faute à l’aria moins inspirée que d’autres, l’adéquation de la voix à un style – ce Rossini là demande plus de rondeur – la difficulté surtout à passer instantanément d’un personnage à l’autre. Ecueil de tout récital lyrique que l’expérience apprendra vite à surmonter.
Les mélodies interprétées auparavant ne présentent pas cet inconvénient. Rossignolades plus virtuoses qu’expressives, elles mettent en valeur l’agilité et le fruit du timbre, idéal car dépourvu de l’acidité qui nuit souvent à ce type de voix. L’élocution n’est pas encore le fort de l’artiste ; le français des Debussy – « Pierrot », « Apparition » – demandera à être perfectionné si Olga Peretyako veut un jour chanter, comme on le suppose, Juliette de Gounod ou cette Manon présentée en bis qui, malgré un bel éclat de rire, dépasse aujourd’hui ses limites. Mozart est un autre chemin sur lequel on l’aimerait voir marcher : Suzanne et déjà Konstance dont l’« Ach ich lebte » fluide, proposé en tête de programme malgré ses exigences, est signe de tempérament.
De la personnalité donc. Et de la grâce. Charmante Peretyatko dont la silhouette, soulignée par une robe de satin blanc, doit faire pâlir de jalousie sa compatriote Netrebko (on se dit que la relève est assurée) ; attentive à offrir à son accompagnatrice, Carmen Santoro, sa part d’applaudissements ; dissimulant son trac derrière un éventail qu’elle utilise comme une baguette pour chasser d’un geste brusque les oiseaux qu’elle imite – Stravinski et Saint-Saëns – ; irrésistible. Pourtant, là où on la préfère encore c’est dans ces mélodies russes qui touchent à ses racines, « Lilacs », « Plenivshis’ rozoy, Solovey » et surtout « Ne poy, krasavica pri mne » dont le lyrisme ardent laisse imaginer la Tatiana d’Eugène Onéguine que ce rossignol pourra un jour oser s’il sait prendre le temps de déployer ses fines ailes.
[1] Rossini Opera Festival