Il est des concerts que l’on attend avec impatience pendant des semaines : la perspective d’entendre Juan Diego Flórez interpréter exclusivement des airs de Rossini, dont il a fait depuis longtemps sa spécialité, est la promesse d’un grand soir. Las, quand arrive la pause, le ténor péruvien n’a chanté qu’un seul air, laissant tout le travail à ses partenaires. On se dit qu’il faut être gonflé pour qualifier un tel programme de récital Flórez, d’autant que la prestation a été franchement décevante dans le beau et trop rare « Qual sarà mai la gioia » de Ricciardo e Zoraide. Si les aigus percutent, ils sont néanmoins forcés à l’extrême, à la limite du désagréable. Le timbre, d’ordinaire si séduisant, apparait nasal. La star semble absente ou du moins étriquée… Pourtant, le public ovationne le ténor qui, en récompense, lui offre un de ces sourires ravageurs dont il a la maîtrise.
Heureusement, la deuxième partie de soirée permet de se réconcilier avec Juan Diego Flórez, bien plus présent, qui expose enfin ses moyens et son assurance coutumiers. L’agilité fait merveille, le timbre retrouve son moelleux et les intonations leur subtilité. La diction reste un des points forts du chanteur, aussi bien en italien qu’en français où il se montre très à l’aise dans Guillaume Tell. Chaque voyelle se détache clairement, dans un phrasé impeccable.
On ne peut en dire autant de la soprano Yolanda Auyanet, qui articule peu, ce qui détonne particulièrement dans les duos. La belle jeune femme, native des Canaries, n’est pas exactement une rossinienne. Sa technique convient sans doute mieux aux rôles mozartiens qu’elle incarne aux quatre coins du monde. Cela dit, sa jolie ligne de chant, son assise solide dans les graves et la puissance de sa voix sauvent la mise, notamment dans Guillaume Tell où elle donne beaucoup de présence au personnage de Mathilde.
De son côté, Anna Bonitatibus complète cette distribution par une prestation bien sage. Son mezzo tout en nuances lui permet de faire bonne figure auprès de ses partenaires, mais on aurait souhaité un peu plus d’éclat et de couleur. Elle réussit à délivrer un « Non più mesta » convaincant, sourire aux lèvres masquant avec art les efforts d’acrobatie faciale, qui lui donne cependant un caractère mécanique, encore renforcé par une certaine dureté dans l’exécution. En revanche, dans le rôle d’Arsace face à Semiramide, le timbre change pour se rapprocher du bronze et la voix s’affermit, témoignant largement de toute la virtuosité et la chaleur dont elle est capable.
La Philharmonie Baden-Baden, emmenée avec fougue par Christopher Franklin, charme par la vivacité de ses exécutants. Chaque pupitre tire son épingle du jeu, dans un bel équilibre jamais tonitruant, mais toujours clair et sonore. On se délecte notamment de l’ouverture de Semiramide, rondement menée. Au terme du concert, un seul rappel est proposé, mais il s’agit d’une scène longue et bien belle, comme le souligne à l’adresse de son public Juan Diego Flórez dans un allemand fluide – le chanteur est décidément doué pour les langues. Le trio du II du Comte Ory est délicieux de drôlerie, de légèreté et de sensualité. Notre tiercé y excelle et semble s’amuser beaucoup, tout comme la salle, manifestement comblée.