Comme la Cantate destinée à célébrer la regrettée Malibran, celle consacrée aux mérites du pape Pie IX n’avait jamais été exécutée à Pesaro. C’est désormais chose faite, et grâce aux informations généreusement dispensées l’avant-veille par le Professeur Marco Beghelli lors d’une conférence au Musée Rossini, le public était en mesure, en l’absence de livret de salle, de savoir à quoi s’attendre.
Cette cantate, Rossini ne l’écrivit pas de bon cœur. Elu pape en juin 1846 Pie IX était, comme ces prédécesseurs, un souverain temporel, et Pesaro comme Bologne, où Rossini résidait alors, relevaient des Etats Pontificaux. Pourtant nombre de ceux qui rêvaient de voir les territoires de la péninsule, dépendants d’autorités diverses, souvent d’origine étrangère, être rassemblés sous une autorité unique virent en lui celui qui pourrait réaliser cette unité. Sa décision d’accorder une amnistie à des prisonniers politiques souleva leur enthousiasme et Rossini consentit à écrire un hymne dont le titre « Un grido di riconoscenza » exprimait le sentiment dominant. Il fut créé solennellement par cinq cents participants, mais en fait il s’agissait du recyclage d’un chœur tiré de La Donna del lago.
Quelqu’un, pendant les répétitions, avait-il vendu la mèche ? Le jour même de l’exécution à Bologne une lettre partit de Rome demandant à Rossini de composer expressément une cantate en l’honneur de l’avènement de Pie IX. Il fit le mort, puis, relancé, argua de sa mauvaise santé, et de son retrait ancien de la composition. Peine perdue : de Rome, on insista tant et si bien qu’il dut s’exécuter. Il avait dans ses cartons de la musique inutilisée, destinée à la cantate – c’est ainsi qu’il la désigne – Il viaggio a Reims. Et aussi de la musique d’ Armida, de Ricciardo e Zoraide et de la version italienne du Siège de Corinthe, dont l’insuccès relatif et la faible diffusion rendaient licite qu’il la réemploie.
Ainsi, il put néanmoins tenir tête à ce pape qu’on aurait surpris dans les jardins du Vatican en train de chanter à pleine voix « Siete Turchi non vi credo » du Turco in Italia. C’est à lui que Rossini s’adressera en 1866 pour obtenir que l’Eglise catholique abolisse l’interdiction faite aux femmes de chanter dans les églises. Après s’être tu longtemps, Pie IX bornera sa réponse à l’envoi d’une bénédiction. D’où peut-être l’absence parmi les solistes de la coryphée au féminin présente dans le schéma musical ? Sur les paroles du comte Giovanni Marchetti, un de ses amis, Rossini organise la musique en cinq mouvements.
A l’ouverture succède le chœur des graciés, suivi d’un récitatif – tout nouveau, comme tous les autres – où l’incarnation de l’Amour public célèbre, par la voix du ténor, l’espérance née de la magnanimité du Souverain pontife. La même personnification se lance alors dans une cavatine très ornée, avec un contrechant du chœur, avant un récitatif où s’exprime l’Espérance qu’après « un si bon début » le règne de Pie IX réalise ce qu’il promet.
Le troisième mouvement commence par un chœur de jeunes filles qui est suivi d’un récitatif où les voix de l’Espérance, de l’Amour public, du Coryphée et du Génie Chrétien célèbrent la bonté de ce nouveau pape. Suit le quatrième mouvement, qui voit ce quatuor célébrer le Vatican et son nouvel occupant comme un pôle de paix et de sagesse, avec l’approbation du chœur, qui précède un récitatif où le Génie Chrétien réaffirme sa confiance en l’amour divin qui ne peut manquer à Pie IX.
Le dernier mouvement rassemble les personnifications et le chœur dans un ensemble qui fleure bon la partition du Viaggio a Reims.
Pietro AdaÍni se collette avec la partie de l’Amour Public ; elle réclame du ténor, outre la souplesse et l’agilité, une extension dans l’aigu qui ne semble pas uniformément facile. L’Espérance requiert de la chanteuse les mêmes qualités, et Marina Monzó prouve, plus elle chante, qu’elles sont siennes. Le Génie Chrétien, par la voix solide du baryton-basse Michael Mofidian, célèbre la constance d’un recours protégé par Dieu à travers les temps. Quant au coryphée, le ténor Antonio Garés, il est le porte-parole aussi sonore que souhaitable de ceux qui expriment leur confiance dans le règne qui commence.