Grand admirateur du chef-d’œuvre de Rossini, Jean-Louis Grinda propose une nouvelle production de Guillaume Tell sur la scène du Théâtre Royal de Wallonie où il avait déjà monté l’ouvrage en 1997 lors de son mandat à la tête de l’institution. Entretemps, il l’aura également mis en scène à Monte-Carlo en 2015 et à Orange en 2019. Force est de reconnaître que toutes ces productions pour différentes qu’elles soient, comportent un certain nombre de points communs qui constituent la marque de fabrique du Maître. Comme à Orange, par exemple, l’action est transposée au dix-neuvième siècle, Guillaume laboure la terre au début du premier acte et Mathilde parait au II, telle un clone de Romy Schneider dans Ludwig de Visconti. Les costumes des villageois imaginés par Françoise Raybaud séduisent par leurs teintes chaudes. Les décors d’Éric Chevalier sont d’une grande sobriété, le plateau est nu la plupart du temps, seules quelques projections de paysages alpestres ou de forêts habillent le fond de scène où un voilier apparaît à la fin du premier acte. Au cours du dernier tableau, un crucifix géant descend des cintres sous lequel on installe des rangées de prie-Dieu donnant ainsi au plateau l’allure d’une église où Hedwige et les villageois prient pour le salut de Guillaume. Durant l’apothéose finale, les nuages se dissipent, laissant apparaître le soleil dans tout son éclat, la symbolique est simple mais efficace. A la fin, comme durant l’ouverture, Guillaume de dos, contemple le mot « liberté » inscrit en lettres rouges sur le fond de scène. La direction d’acteur est minimaliste, mais d’une grande lisibilité. Grinda ne cherche pas à épater la galerie mais plutôt à créer une parfaite compréhension de l’intrigue et de ses développements ainsi que des rapports entre les différents personnages. La scène de la pomme est particulièrement réussie.
Musicalement, l’ouvrage est donné dans sa quasi-totalité. Quelques coupures minimes permettent de resserrer l’intrigue, comme par exemple le chœur des chasseurs qui ouvre le deuxième acte, les reprises sont supprimées à l’exception de la cabalette d’Arnold qui est doublée. Subsistent quelques numéros de ballets qui s’intègrent bien à l’action sans ralentir sa progression.

La distribution est dominée par l’exceptionnel Guillaume Tell de Nicola Alaimo qui, au fil des productions, de Pesaro à Amsterdam, de Monte-Carlo à Orange en passant par Lyon, a peaufiné son personnage jusqu’à atteindre une forme de perfection. Aucun des affects de son héros ne lui échappe désormais : combattant de la liberté, patriote idéaliste et déterminé, mais aussi père aimant et mari fidèle, Alaimo est tout cela, servi par une diction irréprochable et une voix solide, capable d’imposer son autorité mais aussi d’exprimer sa tendresse et son amour paternel. A cet égard son « Sois immobile » nuancé qui témoigne d’un impeccable legato et d’un souffle inépuisable est sans doute l’un des plus poignants que l’on ait entendu. Chapeau ! A ses côtés, John Osborn ne démérite pas, loin s’en faut. Le ténor américain montre une fois de plus qu’il est toujours l’un des meilleurs titulaires du rôle d’Arnold. Prudent en début de soirée, il construit peu à peu un personnage tiraillé entre son amour pour Mathilde et l’amour de son pays. Ses deux duos avec sa bien aimée traduisent ces sentiments contradictoires. « Doux aveux t Ce tendre langage » chanté avec une voix suave, laisse éclater sa passion amoureuse, tandis que le second duo, « C’est du sang que j’espère », le montre éperdu, assoiffé de vengeance. Cependant c’est sa grande scène du IV qui lui vaudra un triomphe largement mérité, il donne d’« Asile héréditaire » une interprétation introvertie d’où émane son désespoir, sans en faire un air démonstratif. C’est dans la cabalette, doublée et ornementée, où sa technique fait merveille, qu’il laisse s’exprimer sa vaillance. Avec Salomé Jicia, on est moins à la fête. Cette jeune soprano qui fut une délicieuse Adalgisa à Marseille en septembre dernier a paru en petite forme : un vibrato par moment envahissant et quelques aigus particulièrement stridents ont émaillé sa prestation. Si elle parvient à sauver les meubles dans un « Sombre forêt » qui tient la route, tout comme dans le duo qui lui fait suite, son second air « Pour notre amour plus d’espérance » avec ses redoutables vocalises la pousse au-delà de ses limites. Dès lors on ne regrettera pas que le superbe « Sur la terre étrangère » ne fasse pas l’objet d’une reprise. La soprano géorgienne tire finalement son épingle du jeu dans le trio final où sa voix se marie particulièrement bien avec celles d’Elena Galitskaya, plus claire, et d’Emanuela Padcu, plus corsée. Dotée d’une voix bien projetée, la première campe un Jemmy téméraire et vaillant tandis que la seconde, issue de l’Académie de l’Opéra national de Paris, dispose d’un timbre séduisant aux sonorités délicatement ambrées. La chanson du pêcheur « Accours dans ma nacelle » capte l’attention grâce au timbre séduisant et au style impeccable de Nico Darmanin.
Inho Jeong campe un Gessler aux moyens importants, il lui manque juste un soupçon d’autorité supplémentaire et un registre grave un peu plus sonore pour être pleinement crédible en méchant. En revanche, Ugo Rabec, également issu de l’Académie de l’Opéra national de Paris, est un impeccable Melchtal, son timbre grave et bien projeté fait regretter que son rôle ne soit pas plus développé. Les interventions convaincantes de Krešimir Špicer, Tomislav Lavoie et Patrick Bolleire, n’appellent que des éloges.
Saluons enfin l’excellente prestation des chœurs, si importants dans cet ouvrage, préparés par Denis Segond,.
Stefano Montanari propose une direction énergique et contrastée, ainsi la première partie de l’ouverture, dirigée avec retenue, sonne comme une musique planante avant le déchaînement tonitruant de l’orage. Tout au long de la soirée, Montanari se plait à opposer les divers aspects de la partition dont il fait ressortir les moindres détails jusqu’à l’apothéose finale pour laquelle nous aurions souhaité une progression moins précipitée.