Reprise du Barbiere di Siviglia mis en scène par Pier Luigi Pizzi en 2018. Certains bons souvenirs gagneraient à ne pas être ravivés. Non que la production ait vieilli. Décors immaculés, architecture néoclassique, corps dévoilés : les tics de langage du scénographe milanais – sa griffe – sont intemporels. Mais l’effet de surprise éventé, les quelques gags ne masquent plus la pauvreté de la proposition théâtrale. L’utilisation du proscenium est un pis-aller agaçant à force de répétition. Les chanteurs livrés à eux-mêmes composent leur personnage avec les moyens du bord.
Les vétérans bénéficient du privilège de l’expérience. Michele Pertusi fait de « la calumnia » une leçon d’interprétation où la science du chant, le travail sur le mot et sur l’intensité pallient la patine du temps – trente-deux années se sont écoulées depuis sa première apparition au ROF (Assur dans Semiramide). Carlo Lepore déploie l’entière panoplie du barbon, acquise au contact renouvelé de l’opéra buffa rossinien. Bartolo grogne, menace et tempête pour mieux se répandre en une logorrhée jubilatoire dans un « Dottore della mia sorte » qui conjugue virtuosité et expression. A l’exemple du public pésarais, Rossini, du haut du ciel, doit applaudir des deux mains. Berta n’a pas de secret pour Patricia Biccirè qui la chantait déjà à Pesaro en 1997, même si on devine qu’une direction scénique plus affûtée aurait aidé à mieux exploiter son potentiel comique. Idem pour Ambrogio, le serviteur muet joué par le comédien Armando De Ceccon, dont l’inutile agitation ne produit que peu d’effets sur les muscles zygomatiques.
© Amati Bacciardi
La relève est-elle assurée ? Maria Kaeteva minaude et se dandine en rythme, les bras levés comme une midinette sur une piste de danse. Rosina n’est pas prise en défaut d’agilité mais d’imagination. Bien que servies par une voix aux reflets ambrés, vocalises et variations semblent téléguidées. L’aigu passe en force au mépris des règles du beau chant.
A l’exemple d’un joueur qui miserait sa fortune sur un seul numéro, Andreas Filonczyk place toute son énergie au service de sa cavatine. La voix claire, saine, projetée renvoie l’image d’un barbier juvénile et fanfaron. Les notes jaillissent hautes et longuement tenues tandis que la mise en scène l’oblige à mouiller sa chemise – au sens propre – avant de la quitter. Une telle vigueur emporterait tous les suffrages si les ensembles suivants ne montraient le baryton en retrait, comme si Figaro n’était finalement qu’un rôle secondaire.
Jack Swanson enfin confirme les espoirs que son jeune nom suscite auprès de la direction artistique du Festival – il chantera Belfiore dans le Viaggio de gala le lendemain. Un surcroît de puissance et de couleurs classerait son contraltino parmi les Almaviva incontournables du moment : virtuosité sans faille, ornementation recherchée, extension confortable dans l’aigu, usage de la voix mixte à bon escient dans une canzone accompagnée à la guitare par Eugenio Della Chiara, puis démonstration dans « Cessa di piu resistere » d’une vaillance décuplée par un métronome sous amphétamines.
Car Lorenzo Passerini a pris le parti de la vitesse au risque de la monotonie inhérente à l’absence de contrastes rythmiques. Si cette course contre la montre, enivrante avant de devenir lassante, n’engendre pas de décalage, elle porte préjudice à la quête de sens et de détail. L’Orchestra sinfonica G. Rossini s’emploie à ne pas perdre la mesure mais c’est dans les récitatifs à travers l’accompagnement de Michele D’Elia que pétille l’esprit de Rossini.