En décembre 1822, à l’occasion du Congrès de Vérone, qui réunissait les monarchies de la Sainte Alliance, le prince de Metternich aurait voulu réentendre la Zelmira qui l’avait enchanté quelques mois plus tôt à Vienne, où Barbaja avait transporté la troupe du San Carlo. Mais la Colbran était malade et quand on fut certain qu’elle ne pourrait pas chanter l’opéra le diplomate et le compositeur optèrent pour des cantates. L’une d’elles, Il vero omagggio, serait dédiée au souverain autrichien. Or le temps manquait, et de surcroît Rossini était tarabusté par La Fenice où on l’attendait pour préparer Semiramide. Dès lors la stratégie du réemploi s’imposait. Dans les cartons du compositeur, une cantate composée pour la duchesse de Lucca, mais créée à Naples en 1821, La riconoscenza, elle-même nourrie d’auto-emprunts à Zelmira, Bianca e Falliero et Ricciardo e Zoraide. Au prix d’adaptation à la tessiture des chanteurs dont il disposait à Vérone, d’ajouts destinés à rendre le final plus ample et plus spectaculaire, Rossini mènera à bien la gageure.
Sur les rives de l’Adige, des pâtres, des fermiers, des bergères chantent les louanges de leur maître et de ses augustes alliés. Oseront-ils se présenter à eux en sujets dévoués et soumis ? L’un d’eux, Alceo, affirme qu’il n’y a rien à redouter d’un souverain qui règne par la piété, la pitié et la clémence. N’a-t-il pas fait dévier le cours d’un torrent dévastateur ? Un autre, Fileno, vante la paix et la liberté dont ils jouissent. Un chœur sort de la forêt pour glorifier ce maître et ses alliés. Apparaît Elpino, un vieillard muni de sa harpe, qui considère un devoir d’exalter publiquement les vertus de ce prince. Avec Alceo, Fileno et la bergère Argene, Elpino guide la procession au pied du trône et tous chantent leur gratitude et leur amour. Le souverain répond qu’il trouve là le juste prix de ses victoires. Il a entendu ses sujets, assurer leur bonheur sera sa tâche, comme celle de ses augustes alliés, et demande – à l’impératif – au peuple de leur abandonner son sort dans un grand quintette avec chœur.
L’ayant fait l’an dernier, nous ne décrirons pas le lieu choisi pour le concert, cet observatoire dont les derniers paliers permettent de dominer la forêt environnante. Si cette année aucune allée et venue n’a perturbé notre attention, il reste que le plein air ne nous semble toujours pas l’idéal pour ces exécutions, surtout quand la fraîcheur du soir contraint à frissonner faute de pouvoir s’emmitoufler et qu’on se met à craindre pour les artistes. Mais il faut vraisemblablement nous résigner : la création d’un prix Rossini in cima, décerné l’an dernier au musicologue Paolo Fabbri, annonce que cette pratique se maintiendra. Cette année le récipiendaire n’était autre que le directeur musical du festival, Antonino Fogliani, dont la fidélité à Bad Wildbad où il dirige depuis vingt ans était surlignée par le choix de l’œuvre programmée. C’est donc dans une joyeuse émotion qu’après le concert, prolongé par l’exécution du pas de six de Guillaume Tell que José Miguel Pérez Sierra, devenu lui aussi un pilier du festival, a dirigé en l’honneur de son ami Antonino Fogliani, le maire de Bad Wildbad a remis à celui-ci le prix et les cadeaux afférents.
Dans ces conditions qui mettent à l’épreuve musiciens et chanteurs, ainsi que l’auditeur-spectateur il est difficile d’apprécier au plus juste leurs prestations. Disons que ni les musiciens de l’ensemble Szymanowski ni les choristes n’ont démérité, loin de là. Pour les solistes, même si toutes les parties sont exigeantes, certaine l’est davantage. Or la règle pour bien chanter Rossini est de pouvoir donner l’illusion d’une émission naturelle, où la voix coule de source. Pour le soliste le plus exposé par une écriture très exigeante inspirée peut-être par celle d’Idreno ce ne fut malheureusement pas le cas quand il entreprit d’escalader les sommets. Quant aux autres, ils ont tiré leur épingle du jeu, la basse Roberto Lorenzi remarquable en barde porte-parole, le ténor Michele Angelini dans les énergiques fioritures d’ Elpino, la mezzosoprano Teresa Iervolino dans le rôle interprété à Vérone par le castrat Velluti et la soprano Sofia Mchedlischvili en bergère fidèle tant à Alceo qu’au souverain, sans toutefois nous faire éprouver les exaltations que l’auditoire de Vérone avait d’autant plus savourées qu’une mise en espace fastueuse avait accompagné l’exécution musicale.
Mais le public nombreux réparti sur plusieurs anneaux autour du puits central n’a pas fait la fine bouche et a fait un véritable succès, long et chaleureux, à tous les protagonistes, et en particulier à Antonino Fogliani et à sa direction ciselée qui parvient à imposer son sceau, en nous faisant vibrer presque malgré nous à cette œuvre de circonstance désormais aux antipodes de notre sensibilité.