Baptisée Festival giovane – ce qui donne en français Festival jeune, l’expression est-elle heureuse ? – la production du Viaggio a Reims conçue par Emilio Sagi pour mettre à égalité de chances les promotions successives de l’Accademia rossiniana est toujours en service depuis 23 ans et semble bien partie pour figurer dans le livre des records. La retrouver cette année au Teatro Sperimentale ranime des souvenirs anciens, ceux des concerts imaginés par Philip Gossett, des conférences de Bruno Cagli ou d’Alberto Zedda, quand les cours de l’Accademia étaient contemporains du festival. Mais foin de nostalgie, découvrons les élèves de 2023.
L’orchestre Filarmonica Gioachino Rossini semble avoir besoin de quelques mesures pour entrer pleinement dans la dynamique et la dialectique de la partition, rançon probable d’un emploi du temps très chargé, mais rapidement il se ressaisit et Andrea Foti pourra la représentation sans encombre, assez attentif aux chanteurs pour ne pas les pénaliser par des forte mettant en péril la balance. Au pianoforte Ruben Sanchez-Vieco, par ailleurs chargé de la préparation musicale et à la flûte la virtuose Cristina Flenchi restituent tous les charmes d’une musique faite pour éblouir puisque, rappelons-le, elle était destinée en priorité aux invités au sacre de Charles X.
Il y a dans cette cantate – ainsi que Rossini définissait Il viaggio a Reims – des premiers et des seconds rôles. S’il a pu arriver que ces derniers soient tenus par des chanteurs apprentis dont les moyens semblaient peu adaptés à permettre d’imaginer pour eux de brillantes carrières lyriques, la bonne surprise de cette première distribution est l’étoffe vocale et la présence scénique de ces « utilités ». La Maddalena de Saori Sugiyama révèle une voix profonde et bien projetée. Le Don Luigino de Michele Galbiati impose sa présence malgré sa portion congrue, et le Zefirino de Xavier Prado marque par la vigueur d’une voix bien posée. On ne dira rien des interprètes de Delia, Antonio et Gelsomino, car sauf inadvertance leurs interventions semblent avoir disparu..
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Honneur aux dames – précisons que nous condamnons sans ambages la profession de foi de Belfiore, pour qui « elles » ne demandent que « ça » même quand elles disent le contraire – Sabrina Gardez campe une Madama Cortese de bon aloi, ni pimbêche ni populiste, avec un timbre agréable, une belle extension, une belle projection vocales, une agilité satisfaisante, mais qui semble dépourvue de trille. Miyoung Lee a l’agilité volubile nécessaire à l’agitation de la comtesse de Folleville, mais l’extension dans l’aigu semble encore limitée, et l’on ne peut qu’approuver la prudence qui semble de mise. Légère déception avec la Melibea de Seray Pinar, qui chante bien mais dont la voix manque pour nous du mordant lié à ce caractère fort. Reste le cas de Tamar Otanadze, dont le chant est assez irréprochable malgré un vibrato parfois trop présent, mais dont le timbre n’a pas la douceur veloutée de mainte Corinna l’ayant précédée.
Pour les garçons, carton plein ou presque pour les voix graves. Certes, le Don Alvaro de William Kyle semble un peu trop introverti et manque d’éclat mais à sa décharge on lui a rogné les ailes en sabrant une partie de ses interventions. Mais qu’il s’agisse du Don Prudenzio d’Omar Cepparolli, du Trombonok de Valerio Morelli, du Lord Sidney d’Alberto Comes ou du Don Profondo de Eduardo Martinez, même si ce dernier ne varie pas suffisamment les couplets dans l’air des médailles, ils ont tous des timbres agréables ou prenants et l’on écoute avec plaisir ces voix bien posées, déjà bien armées pour affronter les écueils des agilités rossiniennes. En revanche une pénurie de ténors a amené le festival à solliciter Pietro Adaini, qui chantait la veille dans la Cantata in onore di Pio IX, pour assumer le rôle du Conte di Libenskof. Si les montées dans l’aigu ont été plus faciles, la joliesse du son a été çà et là entachée de légères nasalités. Pas le moindre problème pour le Belfiore de Paolo Nevi, dont la voix pleine a l’assurance du « tombeur » qui se croit irrésistible et qui assume crânement l’exhibition prévue par la mise en scène.
Des promesses, donc, dans cette promotion, qu’il faudrait réentendre car, cela va sans dire, ces impressions sont relatives à un concert et ne prédisent en rien l’avenir !