Depuis plusieurs saisons, Les Grandes Voix ajoutent aux récitals de chanteurs lyriques, des tubes de musique sacré – Requiem de Mozart, Stabat Mater de Pergolèse… – et des opéras en version de concert, tel ce Comte Ory, prétexte pour Cyrille Dubois à retour dans le répertoire rossinien. L’œuvre pleine de charme et de malice est de celles que l’on déplore de ne pas voir programmées plus souvent. Son absence de l’affiche n’est pas due à ses faiblesses mais à ses difficultés. A cheval entre deux écoles, l’une relevant du bel canto italien en ses flamboyances les plus extrêmes, l’autre de la légèreté caractéristique des tréteaux de l’opéra-comique, la partition impose de jongler avec les styles tout en requérant, pour les deux grands premiers rôles tout au moins, une technique et une agilité supérieures.
Les amateurs de sensations fortes s’étaient donné rendez-vous au Théâtre des Champs-Élysées afin d’éprouver une nouvelle fois l’ivresse des cimes lyriques, ce vertige que donnent les voix lorsqu’ensemble ou séparément, elles partent à l’assaut des sommets et, qu’après avoir enjambé des précipices, elles dévalent la portée à la vitesse d’un coureur de ski alpin. Las, on nous promettait deux heures et demies de musique, nous en eûmes à peine deux. Non que des numéros aient été écartés mais certains tempi furent précipités et plusieurs airs et ensembles écourtés au mépris de la règle belcantiste qui considère les reprises comme des perches tendues à l’interprète pour faire valoir son imagination, sa musicalité, son audace et sa virtuosité. Omettre cette règle, c’est aussi priver l’auditoire d’une part de l’excitation inhérente à ce répertoire.
Si l’on ajoute à cette frustration, des solistes souvent hors de propos, soit stylistiquement, soit vocalement, pris en mal de puissance face à un orchestre profus, on comprend la déception ressentie en fin de concert. Plutôt que d’en noircir les raisons d’un trait bileux, adoptons « la positive attitude ». Reconnaissons à la direction de Patrick Lange l’énergie et la précision que réclame une musique à la mécanique subtile. Apprécions la facilité avec laquelle le chœur passe en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire de la chanson à boire au recueillement oratoire, ainsi que l’habile dosage du volume pour donner l’impression que les pèlerines supplient au loin la noble Comtesse de leur offrir l’hospitalité.
D’un chant dont on connaît la souplesse et la versatilité, Cyrille Dubois établit la filiation entre le haute-contre de la tragédie lyrique et le ténor d’opéra-comique, avec un usage consommé de la voix mixte et du falsetto. Français donc plus qu’italien, ce qui n’est pas un reproche. Au contraire, l’interprète amoureux du répertoire mélodique s’attache comme nul autre à l’articulation de la phrase et au sens du mot. Si une légitime anxiété altère l’assurance de son air d’entrée, « Que les destins prospères », si le « bruit des armes » supporterait plus d’ampleur, la partie lente du trio final et, auparavant le duo avec la Comtesse nous restituent le ténor tel qu’en lui-même, dans un état de grâce qui est à la fois élégance, tendresse et poésie, le tout mâtiné d’une espièglerie à laquelle il a moins souvent l’occasion de s’adonner. Il lui reste à s’affranchir de la partition pour gagner en liberté, à l’égal de sa partenaire.
Rossinienne doublement patentée à Pesaro et Bad Wildbad, Sara Blanch a chanté à plusieurs reprises Adèle. Cela se voit par l’aisance avec laquelle elle se détache du pupitre pour donner vie à au personnage. Cela s’entend à la façon dont elle maîtrise les moindres contours du rôle, diction comprise, non comme le ferait une Lakmé échappée du pays des clochettes, mais en styliste, d’une voix de soprano ravissante. Sa légèreté n’est pas coupable, car pourvue d’une longueur suffisamment confortable pour ne pas trahir l’effort et accuser les ruptures de registre, donnant l’impression que le chant coule de source en dépit des obstacles à surmonter. Ce naturel expressif est l’essence du belcanto. On aurait aimé le goûter dans son intégralité.