Après Haendel il y a quelques mois, Rossini fédère les forces du Palais royal en un de ces concerts dont le fondateur de l’ensemble, Jean-Philippe Sarcos, a le secret. Le spectacle, mis en espace par Adrien Jourdain, a été imaginé à partir de l’alpha et de l’oméga de l’opéra rossinien : Tancrède, le premier seria d’importance, composé à l’âge de 20 ans ; et Le Comte Ory, la dernière œuvre comique, créée en 1828 à Paris, une année avant Guillaume Tell – suivi de l’inexplicable retraite lyrique, à un âge défiant toutes les réformes législatives : 38 ans.
Deux ouvrages dissemblables par l’esprit, mais aussi par la langue. Un tel écart stylistique s’avère un défi que relèvent les trois chanteurs invités – soprano, mezzo, ténor – selon toutes les combinaisons possibles – air, duo, trio – le temps de huit numéros répartis équitablement en deux parties, une par ouvrage.
« Le paradis perdu – l’intitulé du spectacle – n’est pas un nouvel opéra de Rossini », prévient en préambule Jean-Philippe Sarcos, toujours soucieux de pédagogie et de transmission, « ce titre désigne l’art du belcanto, une école de chant codifiée qui utilise la virtuosité pour exprimer des émotions ». Les trois interprètes n’emploient que partiellement ces codes. Tous disposent d’une longueur et d’une agilité suffisantes pour exécuter les innombrables roulades glissées çà et là par Rossini. Mais l’absence de certains effets consubstantiels à la technique belcantiste se fait sentir, ne serait-ce que l’usage des nuances. Ce n’est pas un hasard s’il existe à Pesaro une académie de chant destinée à la formation des chanteurs rossiniens.
D’une projection relative, le mezzo-soprano d’Aliénor Feix possède un beau timbre dont les couleurs framboisées s’ombrent de bordeaux lorsque la voix aborde les registres inférieurs. Trop appliqué, « Di tanti palpiti » voudrait plus de fièvre pour exprimer tant l’exaltation de l’amant que l’ardeur du guerrier. Julie Mathevet affronte bravement les coloratures dont est hérissé l’air d’Amenaïde sans que le portrait de la jeune fille, sa fraicheur, sa pudeur, sa grâce, ne prenne forme. Mathias Vidal, seul, possède la vigueur pour animer le récit, l’expérience aussi pour occuper l’espace et capter l’attention. L’appui, le mordant font Argirio impétueux, un cran en dessous cependant d’Ory, facétieux et polisson en deuxième partie. Là, les impératifs du belcanto se diluent dans une école française de chant dont le ténor est un de nos meilleurs représentants. Derrière l’assise de la voix, la clarté de la diction, les multiples intentions, se devinent l’héritage de Platée et s’annonce Offenbach. Bien qu’en retrait, soprano et mezzo-soprano avancent ici en terre moins inconnue et le trio final forme la cime d’une soirée qui, somme toute, aura observé une courbe ascendante.
Rossini sur instruments anciens prend des allures inattendues, plus moderne car plus vif, allégé de cet excès de rubato qui peut tirer sa musique vers un romantisme hors de propos – rappelle Jean-Philippe Sarcos toujours en préambule. Dans le même temps, la verdeur des bois et cordes, le son martial des timbales l’empoudrent d’un apprêt baroque. La mécanique du crescendo s’exerce au détriment de la dynamique dans l’ouverture de Tancrède. Mais la précision rythmique que le chef impose à son orchestre est une des clés de ce paradis rossinien à moitié retrouvé.