Il est de ces œuvres que l’on a vues sans en garder aucun souvenir… et L’equivoco stravagante en fait partie. Déjà montée en 2008 in loco, la farce en deux actes d’un Rossini de dix-neuf ans, sur un livret plutôt scabreux et rocambolesque (spectacle chroniqué par notre regrettée Brigitte Cormier) ne nous avait laissé aucune trace.
Comment se fait-il alors que 16 ans plus tard, cet Equivoco nous fasse passer une excellente soirée ?
L’histoire n’a pourtant pas changé et est toujours tirée par les cheveux : Gamberotto veut marier sa fille Ernestina au riche (et fat et idiot) Buraliccio. Or Ernestina est aimée d’Ermanno qui se fait engager comme précepteur pour approcher la belle. Mais pour éloigner le fâcheux prétendant, les domestiques Rosalia et Frontino vont faire croire à Buraliccio qu’Ernestina est en fait Ernesto, castrat de son état. S’en suivront des rebondissements rocambolesques avant que tout rentre dans l’ordre, Gamberotto bénissant l’union de sa fille avec Ermanno.
Une première raison provient sans conteste de la mise en scène imaginative et enlevée signée Moshe Leiser et Patrice Caurier, créée en 2019 (voir la recension complète de Maurice Salles). D’un dispositif scénique apparemment simple (une pièce biscornue avec plein de portes) surgiront bien des surprises (lit qui disparaît, tableau qui s’anime…), occasions de jeux de scène parfaitement réglés, en osmose avec la musique et le livret. On applaudira en particulier le Coro del Teatro della Fortuna qui sont des personnages à part entière de l’action, tout à tour domestiques (paysans dans le livret) ou soldats.
Les nouveaux interprètes se glissent sans mal dans la mise en scène, en particulier un Nicola Alaimo déchaîné. Très en forme vocalement, le baryton profite de sa haute et ample silhouette pour composer un Gamberotto à la fois ridicule, touchant et d’une grande autorité. Et quelle intelligence dans l’emploi des outils grammaticaux mis à disposition par le maître de Pesaro.
Si Carles Pachon semble de prime abord un peu effacé en Buraliccio (surtout face à l’ogre Alaimo), cette impression ne dure pas. Le baryton semble très à l’aise dans ce répertoire, avec notamment une maîtrise du chant syllabique particulièrement virtuose.
Maria Barakova prête sa silhouette longiligne à Ernestina. Couplée à un timbre plutôt androgyne, elle rendrait presque crédible la supposée transidentité du personnage. Son amant Ermanno a le chant sensible de Pietro Adaìni. Rêveuse et élégante, sa cavatine de l’acte 2 est un vrai ravissement.
Le couple de domestiques, piquant, est très bien apparié, ne serait un léger déficit de puissance chez Patricia Calvache (Rosalia) quand Matteo Macchioni (Frontino) est un parfait ténor de caractère.
La direction d’orchestre enlevée de Michele Spotti à la tête de la Filarmonica Gioachino Rossini participe à la fête, avec en particulier des ensembles bien réglés. Tout juste regrette-t-on que l’orchestre couvre parfois les voix, mais pas de quoi gâcher la fête !