Depuis quelques années, en accord avec l’Office de tourisme, le festival Rossini de Bad Wildbad propose un concert au Belvédère du Sommerberg, sous le titre Rossini sur les cimes. Au programme de cette édition 2024, l’ouverture d’Otello et la Messa di Gloria, deux œuvres de la période napolitaine. Le directeur musical du festival, Antonino Fogliani, dirige la première, tandis que la seconde est confiée à José Miguel Pérez-Sierra, un autre pilier de la manifestation. Ce dernier l’ignore, mais au passage de relais, il va recevoir le prix – la reproduction d’un portrait de Rossini – qui récompense la fidélité au festival, dans son cas, une présence ininterrompue depuis dix ans.
Pourquoi associer l’ouverture d’Otello à la Messa di Gloria ? Nous n’avons pas trouvé de réponse. La lecture qu’en donne Antonino Fogliani à la tête des musiciens de l’Orchestre Philharmonique Szymanowski de Cracovie, est probe mais malgré la précision de traits tantôt cinglants, tantôt sarcastiques, le frisson que nous aimons ressentir quand dans le climat de menace sourde et croissante s’intercalent les velléités d’accalmies mélodieuses ne nous a pas saisi. Peut-être l’atmosphère et l’acoustique du lieu y ont-elles été pour quelque chose ?
Remise du prix, donc, par le surintendant Jochen Schönleber, et reprise du concert avec cette messe appelée di Gloria, parce qu’elle comprend seulement le Kyrie et le Gloria, à l’exclusion du Credo, du Sanctus et de l’ Agnus Dei. Créée le 24 mars 1820 à l’église de Saint-Ferdinand de Naples à l’occasion de la fête de la Madone des Sept Douleurs, c’était une commande de la « Royale archiconfraternité de Notre Dame des Sept Douleurs », congrégation au sein de laquelle seuls les nobles étaient admis.
On ne sait pas exactement ce qu’il est advenu de la partition autographe, dont on ne connait que des fragments, et les versions en circulation sont des reconstitutions basées sur des documents parfois annotés de la main de Rossini, comme ceux conservés à Naples, ce qui atteste de leur emploi pour l’exécution de la Messe. Des témoignages des contemporains, Rossini avait conçu le Gloria comme un tableau vivant où des anges témoignent de la gloire divine à l’intention des hommes – des bergers – émerveillés. Quatre solistes se détachent : un soprano, deux ténors et une basse.
Et la perplexité se réactive : une femme a-t-elle pu chanter cette messe, alors qu’une des premières décisions du roi Ferdinand, à peine réinstallé sur son trône en 1815, avait été d’exclure de la chapelle palatine toutes les femmes, à commencer par la Colbran ? Le président de la Société Rossini d’Allemagne, Reto Müller, nous fournit la réponse, grâce au témoignage retrouvé d’un mélomane écossais, John Waldie, qui mentionne le nom de Moise Tarquinio, castrat, ainsi que celui du jeune Giovanni Rubini et de Giuseppe Ciccimara pour les ténors I et II. Il y a trente ans, Philip Gossett avait supposé qu’il s’agissait des stars David et Nozzari, distribuées au San Carlo quand la messe fut créée.
Parmi les points forts de cette exécution, le chœur de la Philharmonie Szymanowski de Cracovie, aussi puissant ou éthéré que nécessaire, impeccable de cohésion, et l’orchestre de la même Philharmonie, dont le cor anglais obligé pour le Gratias agimus tibi et la clarinette du Quoniam tus solus sanctus sont d’authentiques virtuoses. Le soyeux des cordes, le moelleux ou l’éclat des vents sont délectables et l’on est saisi par la maîtrise de José Miguel Pérez-Sierra, qui parvient à faire ressortir l’intériorité d’une profession de foi sans rien sacrifier de l’éclat de ce chant de glorification.
Dans le quatuor de solistes, pas de castrat mais la soprano japonaise Yo Otahara, voix ductile qu’on aimerait réentendre « à chaud » car dans le Laudamus te l’extrême aigu sonne très légèrement acidulé, et le baryton-basse Dogukan Özkan, d’origine turque, un peu à la peine dans les notes les plus graves mais très musical et remarquable dans l’air de bravoure du Quoniam pour la souplesse et l’agilité.
Au ténor I est dévolu le virtuose Gratias agimus tibi, après le duo avec le ténor II du Kyrie. La prestation de Mert Sungu est d’emblée source de perplexité. Un deuil récent serait à l’origine d’une méforme patente. Acceptons l’explication, et souhaitons pour le chanteur qu’il puisse rapidement surmonter cette épreuve.
Par contraste, les interventions de Patrick Kabongo tournent à la performance : la voix est saine, homogène, superbement projetée, l’extension idoine, la diction lumineuse, et les raffinements sont au rendez-vous. Quelle joie de retrouver égal à lui-même ce chanteur trop méconnu en France !
Le dernier chœur contrapuntique – pour lequel Rossini aurait demandé l’aide d’un compositeur contemporain, Pietro Raimondi, tant était vif le souvenir du jugement acerbe de son professeur au lycée musical de Bologne, le Père Mattei , qui le traitait de « déshonneur de l’école » – achève dans une fugue triomphale cette Messe, et le public salue les artistes avec une fougueuse reconnaissance. Sans doute pense-t-il, comme Stendhal, que cette œuvre ouvrira à Rossini les portes du Paradis !