L’auditorium de Bordeaux nous rappelle opportunément que Nino Rota, connu pour ses musiques de films de Fellini (La strada, La dolce vita) ou Visconti (Le guépard), sans oublier Le Parrain (Coppola) a également composé des symphonies, des ballets mais aussi quinze opéras, dont le quatrième, Il cappello di paglia di Firenze (on garde en français le titre de la pièce de Labiche, Le chapeau de paille d’Italie), conserve une vraie notoriété et vient d’être donné trois fois dans le magnifique écrin du Cours Georges Clémenceau .
Entendons-nous bien, en guise d’opéra, nous sommes là dans un parfait vaudeville et la musique est à l’avenant – c’est bien d’une opérette qu’il s’agit, avec tout le sérieux que cela implique. Ce soir Nino Rota s’amuse.
La trame narrative a l’épaisseur d’un papier de cigarette : le matin du jour où Fadinard va se marier, son cheval mange le chapeau de paille d’une jeune femme (Anaïs) en tendre conversation avec son amant. Ce couple le suit jusque chez lui et refuse de quitter les lieux tant que Fadinard n’aura pas remplacé le chapeau par un autre identique car Anaïs a un mari jaloux, qui s’étonnerait de cette disparition…Rassurons-nous, le chapeau sera remplacé et tout finira bien.
Mais ce qui compte c’est la musique de Rota, qui nous rappelle qu’il fut un maître de la mélodie italienne. Ce qui a fait (dès sa création en 1955) et fait toujours le succès de cette pièce, c’est le déferlement d’airs, duos, mélodies en tout genre, à vous donner le tournis, avec de singulières réussites ( le duo Fadinard – Anaïs au I ou l’ensemble conclusif par exemple). Profusion de rythmes ternaires, de valses et bien sûr quelques dissonances qui nous rappellent que nous sommes tout de même au milieu du XXe siècle.
L’impression de concentré de musique est ici d’autant plus renforcé que Julien Duval et Salvatore Caputo ont opté pour une version légèrement abrégée (il manque tout de même une vingtaine de minutes sur la centaine que dure l’œuvre originale). Etait-il nécessaire de se priver notamment de l’ouverture, qui disparaît entièrement ? Pas si sûr. De ce fait, le rythme est échevelé et le spectateur ne voit pas le temps filer, l’ouvrage étant donné sans entracte.
Autre parti pris original : nous avons droit à une version réduite pour chœurs, solistes et piano. Point d’orchestre donc, seul un violoniste (excellent Tristan Chenevez) viendra épauler les magnifiques interventions de La Baronessa. Ce choix peut surprendre, voire décevoir, mais il s’explique entre autre par le plateau vocal, composé de solistes du chœur de l’Opéra de Bordeaux qui, pour vaillants qu’ils soient, n’auraient pas tous pu concourir avec l’orchestre souvent foisonnant imaginé par Rota. Ceci dit, le pari est réussi et l’accompagnement discret renforce l’ambiance bon enfant, vaudevillesque et d’opérette, qu’a recherchée à coup sûr Julien Vidal, le metteur en scène, chaleureusement applaudi au baisser de rideau.
© Pierre Planchenault
Dans une scénographie totalement en rouge et blanc, il a imaginé un espace de jeu central, entouré de coulisses visibles par le public. Un choix de couleurs tranchées, qui évoquent le cirque, une référence qui rappelle de grands moments de la carrière de Nino Rota. Dans une démarche d’éco-conception, dans laquelle s’est lancée l’Opéra National de Bordeaux depuis quelque temps maintenant, il s’agit là d’une production « zéro achat », les matériaux, décors, costumes et accessoires provenant des stocks de l’Opéra de Bordeaux.
Revenons au plateau vocal ; le chœur de l’opéra National n’a plus à démontrer son professionnalisme ; le rythme est tenu, l’italien est soigné et les consignes chorégraphiques suivies à la lettre. Nous l’avons dit, les solistes sont tous issus du chœur. Le couple de jeunes mariés (Maria Goso et Daniele Maniscalchi) tient la route en se cramponnant parfois, Mitesh Khatri est un oncle pénible à souhait et la basse est sonore. Rebecca Sørensen (Elena) a la voix percutante mais qui peut être aussi un peu criarde, Héloïse Derache est une modiste épatante et qui sait se faire entendre. Felice (Olivier Bekretaoui), Achille (Luc Default), Nonancourt (Loïck Cassin) et Emilio (Jean-Philippe Fourcade) complètent de belle façon la distribution.
Nous aurons remarqué deux solistes du chœur qui pourraient très raisonnablement envisager des rôles plus consistants : Eugénie Danglade est une baronne excentrique à l’alto merveilleusement chaleureux ; et Jean-Pascal Introvigne est un Beaupertuis à la basse déjà forte, bien projetée et pour tout dire prometteuse.
Comment enfin ne pas saluer la performance de Martin Tembremande, pianiste aux multiples talents (il est notamment titulaire de l’orgue de Saint-Louis de Bordeaux) qui a accompagné au piano l’ensemble avec élégance et sans jamais faillir, et celle du chef des chœurs de l’Opéra de Bordeaux depuis dix ans déjà, Salvatore Caputo, qui dirige chœurs, solistes et pianiste avec sobriété et efficacité.