Pour la création de Rusalka d’Anton Dvorak in loco, l’Opéra de Tours a mis bien des atouts de son côté : une production rodée à Nuremberg puis à Monaco, un chef, Kaspar Zehnder, rompu à ce répertoire (lui qui fut notamment à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Prague et a créé une version de chambre de Rusalka à Bienne Soleure), ou encore des chanteurs de niveau international. Pourtant, l’impression dominante qui ressort de cette matinée est un trop plein sonore qui a tendance à écraser la délicatesse de la partition.
Le premier responsable en est peut être Kaspar Zehnder, à la tête d’un orchestre Symphonique Région Centre Val de Loire Tours solide (les cuivres se tirent admirablement d’une partition exigeante et la harpe aérienne vient apporter une mélacolie bienvenue). Le chef ne parvient cependant pas à totalement maîtriser les dynamiques dans cette salle de taille modeste, avec des tutti tonitruants et une tendance générale à trop lâcher la bride à l’orchestre. Si les parties dramatiques ou plus folkloriques (en particulier les scènes du garde-chasse et du marmiton) sont efficaces, on est moins séduit par les passages plus élégiaques : il manque ici une poésie, une opalescence, faute notamment d’une transparence orchestrale et d’un fondu des timbres suffisants. Dans ces conditions, la célébrissime prière à la lune laisse de marbre.
Il faut dire que cette scène cueille Serenad Uyar (Rusalka) à froid : stress ou manque d’échauffement, la respiration est sifflante, la voix bouge. La chanteuse turque dont le répertoire va de Mimi à la Reine de La Nuit (!) a pourtant pour elle de belle qualités vocales, une projection confortable et un registre aigu aisé. Est-elle pour autant une Ondine rêvée ? Il lui manque pour cela le médium plus nourri et l’iridescence de l’aigu des grandes titulaires du rôle. Plus gênant, fait défaut ici la fragilité du personnage, ses fêlures, du fait d’un chant peu nuancé et constamment forte.
Son prince semble lui aussi bien unidimensionnel. Pour ce rôle écrit orginellement pour un chanteur wagnérien, le ténor Johannes Chum surprend par une émission haute et un timbre léger (on imagine aisément le Loge qu’il peut être). Comme sa partenaire, il semble privilégier le volume sonore, quitte à pousser ses aigus, qui sonnent bien nasaux. Le chanteur arrive d’ailleurs fatigué dans son duo final, au point de ne pouvoir éviter l’accident. C’est pourtant dans cette dernière scène que le ténor ose enfin les allègements et la voix mixte qui sortent son prince de son côté uniformément bravache.
Serenad Uyar (Rusalka) et Mischa Schelomianski (Ondin) © Marie Petry
Si le but de Jezibaba est de faire peur, Svetlana Lifar est parfaite pour le rôle : elle épouvante, en ne reculant devant aucun effet, grossissement du son, graves poitrinés, aigus crucifiants pour y parvenir. C’est finalement l’Ondin de Misha Schelomianski qui fait décoller la représentation : l’émotion surgit enfin lors de son air de l’acte 2. Par son timbre somptueux, profond et moiré, l’apparent naturel du chant jusque dans les notes les plus graves et surtout l’humanité qui sourd de son incarnation, la basse russe nous permet enfin de goûter pleinement la délicatesse et la sensibilité qui irriguent l’œuvre.
Les seconds rôles sont bien défendus, que ce soit la princesse parfaite de morgue d’Isabelle Cals, les Nymphes fort musicales et différenciées de Jeanne Crousaud, Yumiko Tanimura et Aurore Ugolin ou encore le garde forestier sonore d’Olivier Grand. On retient en particulier le Marmiton très bien chantant de Pauline Sabatier.
La mise en scène Dieter Kaegi n’apporte malheureusement pas la poésie qui fait parfois défaut à la partie musicale. Le décor construit autour d’un bassin figurant l’étang d’où surgissent les créatures aquatiques, a pour principal défaut de complexifier les mouvements sur scène. Surtout, le trop plein d’idées déjà dénoncé ne peut faire oublier la laideur de certains éclairages (en particulier ceux bleu et vert dignes d’une discothèque pour le royaume aquatique) et des costumes, en particulier la robe de Rusalka ou les habits bariolés des courtisans, bien peu seyants.