Salomé monté par Olivier Py, la rencontre s’annonçait prometteuse. Malheureusement, les espoirs ne sont que partiellement satisfaits, tant le metteur en scène semble s’être senti obligé d’entasser concept sur concept, l’œuvre étant tellement connue qu’une lecture littérale était exclue. Au début, on croit comprendre le principe directeur. Telle Carmen, qu’il avait brillamment métamorphosée en danseuse de cabaret pour l’Opéra de Lyon, Olivier Py voit en Salomé, cette autre femme fatale opératique, avant tout une femme-spectacle : toute une partie de l’intrigue tourne autour du moment où elle accepte de se donner en spectacle à Hérode, moyennant la contrepartie que l’on sait. Telle Lulu, autre femme fatale, autre femme-spectacle, dans la dernière scène de l’acte I de l’opéra d’Alban Berg, Salomé quitte la scène du music-hall où elle étouffe pour venir respirer dans sa loge, et son habilleuse lui fait enfiler les tenues de ses « numéros » successifs. Mais à ce point de départ s’enchevêtrent d’autres fils conducteurs, et l’on peut se demander ce que le prophète vient faire dans les coulisses de ce théâtre où traînent un grand Christ en bois décroché de son crucifix, que Salomé traîne contre elle quelques instants et qu’elle finit par suspendre la tête en bas à un câble tombé des cintres. Les cinq Juifs deviennent ici un rabbin, un cardinal, un pope, un imam et un pasteur protestant. L’ange de la mort, un figurant nu, rouge vif et paré de grandes ailes, rôde chaque fois que le livret laisse entrevoir une allusion au trépas. Et surtout, par un effet extrêmement spectaculaire, tout le fond du décor s’écroule à plusieurs reprises pour créer une série de lieux, de scènes où Salomé la danseuse pourrait se produire, lieux qui forment ensuite un escalier en s’empilant comme les pages d’un livre pop-up pour enfants. La danse des sept voiles, devenue ici danse des sept hommes, a d’ailleurs lieu dans un décor d’église où montent des fumées d’encens. Et à la toute fin, Salomé meurt comme Tosca, autre figure d’artiste, en se jetant du haut de ce grand escalier, tandis que l’inscription Gott ist tot apparaît en lettres de néon… De ce grand fourbi on retiendra quelques très belles images, mais pas forcément grand-chose qui éclaire le sens de l’œuvre.
© Klara Beck
Heureusement, l’aspect musical de la soirée s’avère autrement réjouissant. L’Orchestre philharmonique de Strasbourg se montre tout à fait à la hauteur du défi que représente la partition de Strauss, dont Constantin Trinks parvient à respecter les différentes composantes, autant l’orientalisme de surface que les audaces insensées.
Avec Die tote Stadt à Nancy et Der ferne Klang à l’Opéra du Rhin, Helena Juntunen avait prouvé ses affinités avec ce répertoire décadent du début du XXe siècle. Son incarnation de Salomé est scéniquement stupéfiante, par l’aisance avec laquelle elle évolue – même si on soupçonne une danseuse de la remplacer au moment le plus remuant des Sept Voiles. Le personnage est là, lui aussi, entre l’inconscience lorsqu’elle dialogue avec la tête du Baptiste et l’opiniâtreté lorsqu’elle exige mordicus le cadeau promis. Vocalement, la soprano finlandaise atteint toutes les notes du rôle, non sans acidité dans les plus aiguës, parfois un peu trop hautes. Après Das Liebesverbot la saison dernière, Robert Bork revient à nouveau prêcher la plus austère vertu, avec la voix autoritaire qui convient. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke n’a pas de rival à l’heure actuelle dans les rôles de ténor de caractère de l’opéra allemand, et il est heureux qu’il ait ravi Hérode aux chanteurs en fin de course auxquels on confiait jadis ce personnage. Hérodiade sonore, Susan MacLean est impériale dans son allure de diva des années 1930. Julien Behr s’aventure ici bien au-delà des terres mozartiennes où il s’est illustré pour aborder un rôle certes bref mais lourd : la réussite son Narraboth laisse espérer d’autres aventures du même calibre. On avait déjà eu l’occasion de remarquer le timbre sombre de Yael Raanan Vandor dans Gianni Schicchi à Nancy, mais il paraît ici un peu étouffé, et son Page est moins percutant qu’on s’y serait attendu. Parmi tous les petits rôles, on remarque le Nazaréen d’Ugo Rabec ou le soldat de Jean-Gabriel Saint-Martin, auxquels Strauss permet de s’exprimer davantage que leurs collègues.