Ce 21 juillet s’ouvrait la 24e édition du fameux festival des montagnes valaisannes. Pour son dernier concert en tant que directeur musical du Verbier Festival Orchestra, Charles Dutoit a réalisé un ultime tour de magie. Sans l’aide d’une représentation visuelle des moments emblématiques choc de la sulfureuse Salomé, il a donné vie au torrent musical provenant de l’extraordinaire partition de Richard Strauss tout en faisant exister théâtralement, dans toute sa splendeur érotique et macabre, l’épisode biblique dont s’était inspiré Oscar Wilde. Véritable bête de scène, se faisant tour à tour aigle royal, serpent venimeux, lion enragé…, le charismatique chef suisse a conduit et canalisé le flot sonore tantôt tonitruant, tantôt soyeux, tantôt moqueur afin de permettre à un orchestre de cent deux jeunes musiciens et à quatorze voix solistes aguerries de s’enchevêtrer durant une confrontation ininterrompue.
Avec l’aide des sur-titrages et des gros plans sur deux grands écrans placés latéralement en haut du cadre de scène, les personnages demeurent bien identifiés. Ils sont sobrement vêtus, dialoguent entre eux à distance et évoluent de manière fluide devant l’orchestre avec une gestuelle sobre mais précise. Si bien que malgré l’absence de mise en scène, il est assez aisé de suivre le déroulement de l’action. La fameuse danse des sept voiles avec son parfum d’orient suggère et subjugue d’autant plus qu’il n’y a personne sur le plateau quasiment tout au long de son exécution — la chanteuse ne réapparaissant que sur les dernières mesures pour enchaîner avec son discours.
© Aline Paley
La distribution vocale est en phase avec l’exigence des rôles. Avec sa voix superbe d’une solidité à toute épreuve sur toute la longueur de sa tessiture (et même un peu au-delà), avec son autorité vocale et sa présence, Gun-Brit Barkmin est une Salomé vraiment idéale. Quant au baryton Egils Silins, son timbre de bronze et sa diction nette, précise, font de lui un excellent prophète Johanann. La voix claire et lyrique d’Andrew Staples convient bien au rôle de Narraboth. De son côté, la solide mezzo Jane Henschel (Hérodiade) forme avec Gehard Siegel (Hérode) un couple haut en couleur bien assorti. Doté d’une voix puissante au timbre bien particulier, le ténor allemand confère au personnage d’Hérode toute l’ambiguïté requise. Les rôles secondaires s’acquittent également tous très bien de leurs parties respectives.
Malgré la pluie battante qui a parfois un peu gêné l’écoute, les spectateurs font un triomphe à cette soirée ô combien chargée d’émotion. Les applaudissements mettent longtemps à se tarir et Charles Dutoit découvre en même temps que le public la banderole « merci Charles » déployée par cet orchestre qu’il a guidé pendant neuf ans, mû par la passion de transmettre et le bonheur de jouer ensemble. Venant d’être nommé directeur musical honoraire du Verbier Festival Orchestra, il ne le quittera pas tout à fait des yeux, ni des oreilles
Ce concert est disponible trois mois sur medici.tv.