Un concert entièrement dédié à Purcell, performé dans le plus simple appareil d’un quatuor de clavecin, viole de gambe, luth et voix – voilà qui avait de quoi nous allécher, par la promesse d’une soirée de pureté et de légèreté baroque. Malheureusement, le compte n’y est pas tout à fait.
Alors certes, derrière l’énigmatique nom du concert (« Salon Queen Mary ») que le programme n’explicitera pas, se cache un bel ensemble de morceaux de l’Orphée britannique, encadré par « If music be the food of love » et « Music for a while », et entrecoupés de deux suites pour clavecin. Ces dernières sont, in fine, le plus grand intérêt de cette soirée : Christophe Rousset nous offre le plaisir de l’entendre sur un fac-similé du clavecin de Vincent Tibaut (1691). Il est fascinant en soi, que d’écouter ou réécouter ces deux suites (n°2 en sol majeur et n°7 en ré mineur) dès lors que la musique pour clavecin de Purcell est probablement sa moins fameuse. Entendre une telle rareté sur cet instrument issu du Musée de la musique, certes neuf (Emile Jobin, 1994) mais reproduisant très certainement avec grande précision la sonorité du XVIIe siècle est une expérience profondément jouissive. Le directeur des Talens Lyriques déploie d’ailleurs toute sa virtuosité assise sur une technique chirurgicalement précise, pour notre plus grand plaisir. Ces deux moments apportent enfin de belles respirations dans ce récital chanté.
Pour le reste, le choix d’enchaînement des morceaux n’est pas des plus heureux. Alors qu’alternent les morceaux pathétiques et les morceaux plus enjoués (« Ah Belinda » précède « Fly swift, ye hours »…), il en ressort un mélange des tons qui empêche l’auditeur de s’immerger pleinement dans l’atmosphère de chacun des airs. De même, la formation musicale ne prend pas suffisamment le temps d’installer la solennité et sérénité nécessaire à chaque air, enchaînant les morceaux les uns après les autres, enfilant les perles, presque au pas de course. Les tempi d’ « Ah Belinda ! », d’ « O solitude, my sweetest choice » et de « Music for a while » sont bien trop rapides pour permettre de faire jaillir toute l’émotion tragique ou la pureté céleste typiquement purcellienne. Quant aux morceaux plus vifs, ils sont délivrés avec entrain, assurément, mais là non plus sans que l’intensité ait vraiment le temps de prendre racine et de grandir. Seul le morceau « Sweeter than roses » aura permis de jouer sur les différentes tonalités et rythmiques avec efficacité. Si musicalement, le résultat est irréprochable, le rendu quelque peu mécanique et trop rapide a tendance à brider l’émotion.
Ce constat n’est malheureusement pas contrebalancé par les choix vocaux d’Ann Hallenberg. La voix est souvent trop lyrique, le vibrato trop prononcé, et le volume sonore parfois trop élevé, manquant de l’homogénéité aérienne que certains airs de Purcell requièrent. Cela renforce le décalage entre la gravité et la solennité exigées par la partition et l’impression de hâte qui se dégage du récital. La mezzo-soprano se montre bien plus convaincante pour les airs dynamiques et pétris de volutes de vocalise comme « Fly swift, ye hours ». Son registre medium par ailleurs impressionne sans réserve aucune : charnue et généreuse, sa profondeur vous donnera l’impression d’être dans la grotte aux côtés de Didon et Enée.
De leur côté, Atsushi Sakaï et Karl Nyhlin proposent une performance impeccable, compte tenu de la direction qui leur est donnée, et épousent à merveille chaque intension de Christophe Rousset et d’Ann Hallenberg. Les bis proposés (« Thrice Happy Lovers » et « Fairest Isle »), très bien accueillis, sont également musicalement impeccables, mais insuffisants sur le registre émotionnel et trop hâtifs. Tout semble se passer comme si le « nouveau monde » qui ne tolère plus d’entracte ni de contacts trop prolongés s’est insinué jusque sur la scène. Heureusement, les Talens Lyriques auront l’occasion d’infirmer ce constat les 12 et 16 janvier 2021 à la Philharmonie, pour les « naissances de Vénus » de Lully et de Collasse.