Encore tout auréolé du succès de sa prise de rôle au Staatsoper de Vienne en avril dernier, Roberto Alagna vient proposer son Samson sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées entouré d’une distribution superlative constituée d’interprètes francophones pour la plupart, dont la diction globalement exemplaire n’est pas la seule qualité. Au premier acte les interventions de Loïc Félix, Jérémy Duffau et Yuri Kissin en Philistins n’appellent que des éloges, notamment celles de Duffau dont le timbre sonore capte l’attention. Renaud Delaigue campe un vieillard hébreu au registre grave impressionnant et au legato impeccable tandis qu’Alexander Tsymbaliuk constitue un luxe en Abimélech par l’insolence de ses moyens et la qualité de son interprétation. Son personnage menaçant en impose d’emblée face à Samson.
Laurent Naouri est un Grand Prêtre autoritaire au chant racé. La partition ne semble lui poser aucun problème jusque dans les petites ornementations qui parsèment son duo avec Dalila au deuxième acte.
On savait, depuis son album intitulé « Ne me refuse pas » consacré à l’opéra français que le rôle de Dalila convenait à la voix de Marie-Nicole Lemieux. Les représentations qu’elle en a données à Montréal en 2015 l’ont montré ; le concert de ce soir le confirme de façon éclatante. Très élégante dans une robe jaune pâle assortie d’un châle en mousseline, la contralto québécoise propose une Dalila à la séduction vocale immédiate dans une incarnation sobre et convaincante. Le timbre est clair ce qui n’empêche pas la cantatrice d’exhiber un registre grave sonore et jamais appuyé. Afin de mettre en valeur la duplicité de son personnage, elle n’hésite pas à durcir son registre aigu pour mieux évoquer sa colère et sa soif de vengeance au cours de son duo avec le Grand Prêtre au début du deuxième acte avant de déployer des trésors de sensualité face à Samson dans l’air « Mon cœur s’ouvre à ta voix » qu’elle orne de délicates nuances.
Pour Roberto Alagna, Samson est-il le rôle de sa vie comme le laissaient supposer les critiques qui ont salué sa prestation à Vienne en avril dernier ? L’ovation triomphale qui l’a accueilli à la fin du concert semble l’attester. Tant de rôles pourtant ont marqué la carrière du chanteur. Disons que Samson intervient au bon moment. Le ténor y déploie un medium solide et parfaitement projeté, aux couleurs délicatement ambrées, couronné par un registre aigu insolent de facilité. Son personnage tiraillé entre sa foi et sa fidélité envers son Dieu d’une part et l’irrésistible attraction qu’exerce sur lui Dalila, est un héros tour à tour robuste et fragile. Son entrée au premier acte « Arrêtez, ô mes frères » chantée à pleine voix avec une détermination inébranlable contraste avec l’air de la meule au début du trois, chargé de tristesse et d’émotion, où le ténor s’autorise quelques nuances bienvenues. Au deuxième acte, c’est avec subtilité qu’il cède par petites étapes au caprice de Dalila.
Saluons également la superbe prestation des chœurs qui caractérisent de façon différenciée les hébreux et les Philistins comme en atteste en particulier tout le début du troisième acte.
Mikhail Tatarnikov que l’on a entendu la saison passée diriger La Fille de neige à l’Opéra Bastille aborde le premier acte avec des tempi retenus, presqu’en sourdine, conférant au chœur d’entrée une solennité qui tire l’ouvrage vers l’oratorio puis sa battue va crescendo jusqu’au tutti retentissant qui conclut le deuxième acte. Tout au long de l’ouvrage le chef russe se plait à mettre en valeur d’infinis détails, la bacchanale du trois, tout en contrastes échappe à la vulgarité dont on l’accuse parfois. Attentif aux chanteurs, le chef prend soin de ne jamais les couvrir.