A l’occasion de la rediffusion en streaming de Samson et Dalila (visible du 25 juin 01h30 heure de Paris jusqu’au 26 juin 00h30 sur le site du MET), nous vous proposons de relire ci-après le compte rendu de la représentation du 16 octobre 2018 .
Beaucoup d’attentes entouraient les représentations de Samson et Dalila au Metropolitan Opera de New York. Outre la tension habituelle générée par un spectacle placé en ouverture de saison, la présence de Roberto Alagna, et les accrocs de ses dernières performances, ont suscité de nombreux débats. Quoi, à rebours de tout ce que l’on a pu lire, le rôle de Samson ne serait pas fait pour lui ? Il faudra attendre les dernières mesures de l’œuvre pour en avoir le cœur net.
Passons rapidement sur la mise en scène consternante de Darko Tresnjak. L’on avait pris l’habitude des lectures plutôt traditionnelles présentées sur la scène du Met, mais celle-ci dépasse de loin notre capacité d’imagination. Entre des décors lourds, dénués d’originalité, des costumes qui frisent le ridicule et une direction d’acteurs minable, il n’y a vraiment rien à sauver dans cet univers kitsch au possible, où le premier degré et le mauvais goût règnent en maître. Dans un pays qui a vu naître les réflexions sur l’appropriation culturelle, on peine à croire que de telles propositions puissent encore être acceptées avec sérieux.
Ken Howard / Met Opera
Le constat est d’autant plus amer que la soirée est plutôt réussie musicalement. L’orchestre de l’Opéra, mené par Mark Elder, n’est certainement pas le plus tonitruant, mais il fait preuve d’une grande finesse de texture, et d’un équilibre admirable. L’air « Printemps qui commence » et le début du deuxième acte en sont deux exemples très réussis. Un brin de lyrisme aux endroits les plus agités n’aurait cependant pas nuit à la performance. Le chœur du Metropolitan, quant à lui, peut se targuer d’un français plus qu’honorable, et d’une capacité de nuances à l’image de celles de l’orchestre.
Des trois petits rôles du premier acte, il n’y a qu’un timbre un peu moins agréable à déplorer chez Mark Schowalter. Tony Stevenson et Bradley Garvin tirent habilement leur épingle du jeu.
Du vieillard hébreu de Dmitry Belosselskiy, on retient avant tout une basse bien timbrée et un très bon français. Dommage que la mise en scène ne lui ait pas donné l’occasion de caractériser plus son personnage. Il en va de même pour Abimélech incarné par Elchin Azizov. Plus baryton que basse, le chanteur azéri s’affiche tant scéniquement que vocalement un peu en retrait. En Grand Prêtre, Laurent Naouri livrera la prestation la plus convaincante scéniquement. En effet, à un timbre métallique seyant à son rôle, et à un français qu’on lui sait toujours irréprochable, il allie un vivacité scénique qui dénote particulièrement dans cette soirée qui en manquait tellement.
Le duo éponyme est lui aussi de haute voltige. La performance vocale d’Elīna Garanča est toujours aussi ahurissante, ses moyens vocaux ne faisant qu’une bouchée d’un rôle réputé très lyrique. Pour autant, cela n’empêche pas la mezzo lettone de faire preuve de douceur, tel qu’elle le prouve dans le tube de l’œuvre « Mon cœur s’ouvre à ta voix », dégoulinant de sensualité et de générosité.
La prestation est d’autant plus remarquable que celle de Roberto Alagna s’annonçait difficile. Musicalement, le ténor français s’en sort relativement bien, compensant quelques faiblesses musicales par un texte toujours intelligible. Côté voix, après un premier acte commencé sur les chapeaux de roues, le deuxième voit poindre des imperfections çà et là. C’est cependant dans l’air du troisième acte, et dans le début de la scène de bacchanale que l’on craint réellement pour le chanteur, la voix déraillant à deux reprises. Fort heureusement, le ténor se sauve vocalement, quitte à s’économiser quelque temps, et finit par remporter cette représentation haut la main avec un dernier aigu qui ne laisse poindre aucune faiblesse. Rassuré, le public new-yorkais remerciera chaleureusement l’artiste avant d’aller dormir sur ses deux oreilles.