À croire que Farnace est en passe de devenir un tube au Théâtre des Champs Elysées. Moins d’un an après la version proposée par Stefano Molardi avec Sonia Prina dans le rôle titre (voir recension), le roi du Pont nous revient sous la baguette de Diego Fasolis, ou plutôt devait revenir, dans la mesure où le charismatique chef suisse, souffrant, a dû laisser sa place ce soir à Andrea Marchiol à la tête d’I Barocchisti. Les conséquences de ce remplacement de dernière minute sont limitées tant on sent que les musiciens (mais aussi la plupart des chanteurs) connaissent leur Farnace sur le bout des doigts. Le TCE n’est en effet qu’une étape d’une tournée qui s’est arrêtée en septembre dernier à Ambronay (voir la recension de Christophe Rizoud) et s’est accompagnée d’un enregistrement paru chez Virgin Classics, salué dans ces mêmes colonnes (voir critique). Tout au plus pourra-t-on avoir la sensation que la gestuelle plus mesurée d’Andrea Marchiol galvanise moins les musiciens, sans pour autant que cela nuise aux couleurs de l’ensemble, toujours aussi flatteuses. De là proviennent peut-être également les quelques flottements dans l’organisation : un entracte déplacé dès la fin du premier acte alors qu’il était annoncé en fin de deuxième partie et un « tomber de rideau » entre les deuxième et troisième acte qui laisse le public plus de cinq minutes dans le noir.
Tout cela n’empêche pas de profiter d’une soirée de très haut niveau. Pas de faiblesse dans la distribution, très proche de la version enregistrée : seules manquent à l’appel le Gilade de Karina Gauvin et la Selinda d’Ann Hallenberg. La première est remplacée ce soir par Blandine Staskiewicz ; la mezzo française ne peut certes rivaliser en matière de moelleux vocal. Pour autant sa voix plus légère, troublante d’androgynie – on croirait par moments entendre un contre-ténor – convient plutôt bien au fier guerrier (hormis peut-être dans le charmant « quell’ usignolo » au troisième acte), d’autant que la blonde Blandine n’a rien à envier à sa consœur canadienne sur le plan virtuose. Hilke Andersen, à la voix mordorée et au tempérament versatile, tour à tour charmeur ou impérieux, ne dépare pas non plus en Selinda, sœur du roi.
Pour le reste on retrouve intactes les qualités qui ont séduit au disque. Dès son entrée avec l’aria hérissée de vocalises « Recordati che sei », Max Emanuel Cencic marque la soirée de son empreinte. Timbre charmeur (quoiqu’un peu univoque), belle projection jusque dans le grave (poitriné juste ce qu’il faut), ductilité de la ligne… Le contre-ténor frise le sans-faute, parvenant même à nous émouvoir dans « Gelido in ogni vena », rétabli à cette occasion alors qu’il ne figure normalement pas dans la version de Ferrare (personne ne s’en plaindra s’agissant d’un des plus beaux airs du répertoire vivaldien). Mary Ellen Nesi campe une Berenice idéalement querelleuse, n’hésitant pas à appuyer ses graves à des fins expressives. Face à elle, sa fille, la tendre Tamiri, trouve en Ruxandra Donose une suberbe interprète : la longue voix aux sombres accents nous fait partager les tourments de cette femme rejetée par sa mère et répudiée par son mari. Les ténors tirent également leur épingle du jeu, même si l’on marquera une préférence pour le délié d’Emiliano Gonzalez-Toro en Aquilio face au Pompeo plus raide de Daniel Behle.
Le public en redemande et obtient un bis du final. Si comme lui vous n’êtes toujours pas rassasié par l’avalanche de Farnace, sachez que l’Opéra du Rhin a programmé l’œuvre en mai 2012, avec quasiment la même équipe, mais cette fois mise en scène par Lucinda Childs* : sortez vos agendas !
* Antonio Vivaldi, Farnace, Opéra National du Rhin, du 18 mai au 10 juin 2012 (plus d’informations)