Au lendemain du concert d’ouverture, autour du Stabat mater de Pergolèse, servi par Andreas Scholl et Mari Eriksmoen, nous est offert le premier des huit opéras et oratorios baroques du 37ème festival de Beaune : Saul, recréé il y a seulement 48h à Namur par l’infatigable Leonardo García Alarcón. Camille De Rijck en a rendu compte (Saül au Parnasse), avec un enthousiasme que nous partageons ce soir : Pas loin de trois heures de musique, malgré quelques coupures, dont on sort comblé, bouleversé. A l’écoute de ce Saul, on ne sait qu’admirer le plus, de l’œuvre magistrale, ou de la traduction inspirée qu’en donnent les artistes réunis par le chef argentin.
Christian Immler (Saul, à Beaune) © JCC – Festival de Beaune
L’histoire est connue de la fin de Saül et de l’ascension de David, admirablement traitée par le librettiste qui, à la faveur de la création du personnage de Merab, sait construire, équilibrer, et surtout animer une action riche en progressions. Le génie de Haendel s’y déploie magnifiquement. Premier de ses oratorios qui impose une alternative à l’opéra italien, son découpage en actes et scènes, les didascalies explicites relèvent manifestement du théâtre. L’extraordinaire livret de Jennens, mais surtout sa traduction musicale font de ce récit biblique une œuvre de dimension shakespearienne.
Les interprètes sont les mêmes que ceux décrits avec justesse par Camille De Rijck. Christian Immler a-t-il mieux chanté ? Il est permis d’en douter tant il donne à son Saül cette autorité qui se fait calcul et démence meurtrière. L’émission est arrogante, mordante, puissante et articulée à souhait. David, magistralement incarné par Lawrence Zazzo, élu au statut royal, jusqu’à son accès de violence où il fait exécuter le messager funeste. L’élégance, le raffinement et la justesse dramatique sont servis par une santé vocale évidente. Cadette des filles de Saül, éprise de David, Michal (Ruby Hugues) est délicieuse. Son larghetto, « Full rage and black dispair », avec une flûte concertante est un régal. Elle sait se montrer volontaire, au caractère bien trempé, dans « No let the guilty tremble ». Merab, Katherine Watson, campe avec subtilité l’aînée, orgueilleuse, altière, mais lucide dès le début (« Capricious man ») comme lorsque son père tente de tuer David avec son javelot, sachant exprimer sa compassion « Author of peace ». Samuel Boden nous offre un Jonathan, généreux, aimant. Il faudra passer son premier air – « Birth and fortune » – où l’orchestre le couvrait quelque peu, pour l’apprécier pleinement. La voix est agile, souple et donne toute sa mesure dans les récitatifs comme dans les airs suivants, « Sin not, O King » avec les deux bassons, tout particulièrement. Les autres rôles sont confiés à des solistes issus du chœur, nous offrant un nouveau témoignage de leur excellence individuelle. Nous retiendrons particulièrement la sorcière d’Endor, androgyne, maléfique, voulue autant ténor que haute-contre, qui prend ici une couleur idéale, ambigüe, comme le demandait Haendel, le messager Amalékite dont le puissant récit « Upon mount Gilboa » entraînera le courroux funeste de David.
Les nombreuses interventions du chœur, comparable à celui de la tragédie grecque, sont autant de bonheurs. Martial, triomphant, grandiose, mais aussi indigné, sombre, inquiétant (« O fatal consequence of rage ») comme il avait été jubilatoire (« Hallelujah »), c’est peut-être « Mourn, Israel », avec son passage a cappella, qui nous émeut le plus. Le Millenium Orchestra, puissant comme intime, toujours coloré, sonne merveilleusement. L’extraordinaire panoplie à laquelle a recours Haendel, des trois trombones au glockenspiel, les soli concertants (l’orgue, la flûte traversière, la harpe, le violoncelle) nous valent autant de moments de bonheur. Animé par une passion lyrique rare, le démiurge Leonardo García Alarcón emporte son public comme ses interprètes dans le drame qui se joue. Toujours le propos nous tient en haleine, dès l’ouverture, vigoureuse, colorée, avec une conduite des phrases qui ne se démentira jamais. Les récitatifs avancent, justes de ton, de liberté, de vérité dramatique. Même intitulé oratorio, ce n’est pas une passion, mais un authentique opéra biblique
Rarement les acclamations auront été si intenses et continues, traduisant le bonheur de chacun. Toujours aussi généreux, Leonardo García Alarcón offre la reprise de l’Hallelujah, auquel participent les solistes au premier plan. L’orage, qui menaçait, aura attendu que chacun regagne son logis ou son véhicule.