C’est en enfant du pays qu’Andrè Schuen fait son entrée sur la scène des Schubertiades de Schwarzenberg. Le jeune baryton dont la carrière démarre en flèche (il était un Don Giovanni très convainquant dans la mise en scène de Sivadier aux théâtres de Nancy et de Luxembourg en 2017, rôle qu’il reprendra à Hambourg en octobre prochain – il sera également cet été en récital à Salzbourg) est déjà bien connu du public et très chaleureusement accueilli ici. Manifestement très à l’aise en scène, un rien nonchalant, le jeune homme a quelques solides atouts : une voix magnifiquement bien timbrée, chaude comme la braise, gouleyante comme du bon vin, une véritable présence physique, beaucoup de charme et un solide métier comme chanteur de lieder, acquis auprès de ses aînés : Thomas Allen, Brigitte Fassbaender ou Olaf Bär.
Son programme est centré autour du Schwanengesang de Schubert. On le sait, ce cycle n’en est pas un : ce sont les éditeurs qui ont ainsi regroupé après sa mort les dernières compositions de Schubert sur des textes de Rellstab et Heine, sans qu’on puisse parler d’élément cyclique dans la musique elle-même, et la tradition a ajouté en guise de conclusion le Taubenpost sur un texte de Seidl, sans lien apparent avec les autres pièces. Déjà à l’époque les impératifs commerciaux l’emportaient parfois sur la vérité musicologique. Schuen a encore étoffé le propos en y ajoutant Herbst, très beau poème naturaliste de Rellstab mis en musique par Schubert en 1828 également et quatre poèmes de Johann Gabriel Seidl qui formeront le début de la deuxième partie. Complété de la sorte, le Schwanengesang fournit assez de matière pour un récital entier avec deux parties bien équilibrées de 40 minutes chacune.
Schuen a le sens du lied, c’est évident. Il parvient en quelques instants seulement à créer des atmosphères très variées, et puise dans une très large palette de couleurs les éléments de son propos poétique. Les ressources de sa voix sont très larges, qu’il s’agisse d’exprimer l’engagement (Kriegers Ahnung), l’élégance (Frühlingssehnsucht), la délicatesse tendre (Wiegenlied), ou l’intériorité (Am Fenster). Il crée un climat poétique très pur et très précieux (Ihr Bild) avec de belles transparences dans la voix (Am Meer) ou au contraire dramatise son propos aux limites de la théâtralité (Der Atlas).
Tout cela est passionnant à suivre, mais est-ce à dire que tout est parfait ? Sans doute pas. Du côté du pianiste, la satisfaction est moins complète ; Daniel Heide est attentif à son partenaire, mais il ne propose guère plus qu’un accompagnement. Ses réalisations sont très conventionnelles, pas très élaborées et ne répondent pas toujours à la diversité des propositions du chanteur. Et du côté d’Andrè Schuen lui-même, la jeunesse se fait sentir ici ou là ; le chanteur à tendance à vouloir montrer l’ampleur, certes considérable, de ses moyens vocaux – c’est de son âge – et pousse à l’excès le volume de ses aigus comme on le ferait à l’opéra devant deux mille spectateurs. Lui pour qui chanter semble n’engager aucun effort pourrait soigner davantage quelques détails, donner un peu plus d’attention à certaines notes de passage, différencier encore plus la couleur des voyelles, affiner le legato, arrondir quelques angles. Mais l’essentiel y est, le sens de la poésie et du texte, une très belle présence en scène, le goût du lied, la connaissance de la tradition, qu’il semble parfois vouloir bousculer un peu, et une grande générosité vis à vis du public, qu’il gratifiera encore de deux bis.
Amateurs de lieder, dormez en paix, au pays de Schubert, la relève est assurée !