En février dernier, notre confrère Maurice Salles regrettait que la proposition scénique de David Alden ne viennent gâcher la fête de cette Semiramide née en contrées bavaroises et qui s’épanouit aujourd’hui sur les bords de la Tamise. Il démontrait, point par point ce que, cette mise au goût du jour dans un Orient réaliste lorgnant sur Téhéran, Bagdad ou le couple Al-Assad, avait d’incongrue eu égard aux intentions esthétiques des librettistes et du compositeur. Qu’il nous soit permis d’avoir un autre point de vue. Est-ce le but ultime de chaque représentation d’une œuvre de répertoire que de revenir très objectivement aux conditions et au contexte de sa création ? Sans s’en priver à l’occasion, les portes du théâtre ne sont pas encore celles d’un musée. Et notre époque, celle où nous parviennent ces chefs-d’œuvre du passé, délaisse souvent ces enjeux esthétiques qui n’ont plus de prise sur notre temps et interroge ce qui résonne hic et nunc (c’est à dire Munich et son goût iconoclaste, Munich et sa gare centrale aux premières loges de la crise des réfugiés syriens) au-delà des roucoulades et des notes stratosphériques. On rejoindra cela dit notre confrère sur sa dépréciation de certains éléments du spectacle comme ce suicide stupide d’Oroe, figure du pouvoir religieux, et on saluera comme lui le travail réalisé autour des personnages « passifs » que sont Azema et Idreno. Elle, femme objet, albatros dont les bras sont empêtrés dans des manches dix fois trop longues ; lui, conquérant coquet et seul victorieux du drame avant même son dénouement.
On s’inclinera également devant une réalisation musicale d’excellence. Au pupitre, Antonio Pappano place tout le monde en orbite dès l’ouverture : vive, modèle d’équilibre au bel arc narratif et servie par des cuivres irréprochables, bientôt rejoints par une petite harmonie mutine et des cordes précises. L’orchestre du Royal Opera House est dans un de ses meilleurs soirs. Son directeur musical maintient toute celle belle harmonie dans la fosse et au diapason du plateau tout du long des trois heures vingt que dure la représentation. Manquent toutefois à l’appel la cabalette du premier air d’Idreno et la reprise de celle du duo Assur-Arsace.
Dommage sans doute pour Lawrence Brownlee qui aurait su habilement trousser ces phrases virtuoses. Son Almaviva ou son Libenskof en témoignent au même titre que ces deux grandes interventions de la soirée où la solidité de l’aigu rivalise avec l’agilité. Daniela Barcellona, sans faire montre de telles facilités, assume avec aplomb le rôle d’Arsace dans sa démesure et son humanité. Oroe trouve en Balint Szabo la puissance et l’autorité nécessaires ; Azema en Jacquelyn Stucker le fruit et la pureté de la ligne qui confère innocence et fragilité au personnage. Les choeurs récoltent eux aussi les lauriers de leur remarquable préparation. Assur usera deux interprètes : Michele Pertusi dont le vibrato et le souffle court des premières scènes se rétablit lors du duo avec Arsace. Souffrant, l’italien renonce à l’entracte et cède la place à son compatriote Mirco Palazzi (sur scène lendemain dans Lucia). Non content de sauver la représentation, la basse montre que de ville en ville, son interprétation gagne en profondeur. Enfin, Joyce DiDonato en Semiramide triomphe dans un emploi que sa voix amphibie ne laissait pas présager. A grand renfort d’intelligence et de probité quant à ses moyens, l’américaine met son art interprétatif au service de son personnage. Si certains seront frustrés d’extrapolation dans l’aigu, il faudra bien reconnaître que les couleurs, la virtuosité et surtout l’incarnation valident une telle audace.